L’exposition et son catalogue ouvrent des perspectives passionnantes sur la construction d’une mémoire soviétique isolée des représentations occidentales. Rendue plus complexe encore par les déplacements de frontières d’après-guerre brouillant la notion de juifs « soviétiques », « hongrois » ou « polonais », puis par la Guerre froide, elle évolue vers une reconnaissance ambiguë de la Shoah dans les années 1960. L’ignorance internationale de ces images, à l’exception de celles qui ont été utilisées lors des procès de Nuremberg, sera durable. Sans négliger la volonté parallèle des États-Unis de ne pas mettre en exergue, au moment de la libération de l’Europe, la spécificité de l’extermination des juifs, le silence autour des images soviétiques s’explique surtout d’un côté par la censure et le secret qui étaient de mise en URSS, de l’autre par la méfiance occidentale envers la propagande soviétique. Méfiance qui fut exacerbée à juste titre par l’affaire de Katyn et le film soviétique falsifié attribuant aux nazis le meurtre des officiers polonais perpétré par le NKVD en 1940. L’exposition contribue ainsi à expliciter tant la compréhension tardive de l’importance d’Auschwitz que la longue méconnaissance occidentale de la « Shoah par balles » perpétrée à l’Est et, a contrario, à avancer sur le chemin d’une mémoire européenne partagée.
Notes : Valérie Pozner, Alexandre Sumpf, Vanessa Voisin (dir.), Filmer la guerre (1944-1946). Les Soviétiques face à la Shoah, Paris, Éditions du Mémorial de la Shoah, 2015, 128 p.
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