Dans un article intitulé Homework is a Social Justice Issue – Hybrid Pedagogy, Kris Shaffer revient sur la question des devoirs à domicile à l’ère du BYOD (Bring Your Own Device) et de la classe inversée et sur la question de l’égalité des chances (justice sociale) à l’école. Il en arrive rapidement au constat que ces technologies et ces approches pédagogiques renforcent les inégalités scolaires au profit des élèves et étudiants déjà privilégiés socialement et financièrement. Cela ne l’empêche pas de recourir à la classe inversées, mais en introduisant un nouveau paramètre de justice sociale à la taxonomie de Bloom.
En introduction, Kris Shaffer pose quelques questions élémentaires que tout enseignant devrait se poser avant d’assigner des devoirs à domicile :
When a teacher assigns homework, she makes some big assumptions about students’ home lives. Do they have the requisite supplies? A quiet place to study? Supportive parents or guardians who will motivate them to work? Knowledgable guardians who can assist with challenging problems?
A ce sujet, il rappelle la situation de l’école publique américaine et le fait que la majorité des élèves vivent en situation de pauvreté. Ceci avant même de parler de technologies à disposition de ces élèves soit amenées en classe, soit à disposition à domicile.
Cette situation ne peut évidemment que s’aggraver si l’on recoure alors à la stratégie du BYOD, mais également en fournissant du matériel identique à tous les élèves et en leur assignant du travail à domicile. En effet, une fois rentré à la maison, les élèves ne disposent pas d’un accès équitable à une connection internet de qualité. Certains élèves des écoles publiques n’ont même pas d’accès internet à la maison. Sans parler de l’expertise technologique des parents à la maison et de leur capacité à aider leurs enfants à faire leurs devoirs.
A titre d’exemple, Kris Shaffer présente sa première expérience de classe inversée dans le domaine de la formation musicale. Il explique ainsi que durant sa première année d’enseignement à temps plein, il a commencé à expérimenter la classe inversée (ou retournée “flipped“). Bien qu’il existe différentes approches de pédagogie inversée, il a commencé comme bien d’autres avec des vidéos « conférences » pour les étudiants. Ceux-ci les regardaient hors la classe, afin que le temps de classe soit libéré pour le travail actif des élèves. La mise en œuvre varie, bien sûr, mais la pédagogie renversé repose sur une solide base théorique : mettre le travail des élèves nécessitant une faible charge cognitive (par exemple la diffusion de l’information ou de la mémorisation) en dehors de la classe afin que le temps passé en présence de pairs et avec l’enseignant soit consacré à la pensée d’ordre supérieur et les tâches plus complexes. Cette approche repose implicitement ou explicitement sur la taxonomie de Bloom et les théories béhavioristes.
Lors de cette première expérience, la plupart de ses étudiants vivaient sur le campus. Dès lors, il ne semblait pas y avoir de problèmes d’inégalités d’accès à internet. Cependant, Kris Shaffer mettait à disposition de lourdes vidéos en haute définition (HD) nécessitant une forte capacité de bande passante. L’expérience ne résista pas aux heures de pointe de consultation de Netflix et de jeux en ligne:
Most of these students lived on our residential university campus. We quickly found the university wifi network not up to the challenge — especially if the students were attempting their homework during prime Netflix and gaming hours. Many of my students, through no fault of their own, were unable to prepare for the challenging tasks planned for class.
Kris Shaffer n’en a pas pour autant cessé de travailler sur le modèle de la classe inversée, mais à réduit drastiquement l’utilisation de vidéos en haute définition pour privilégier les ressources textuelles (voir aussi son manuel Open Music Theory). Il a également réfléchit à ce qui de manière cognitive, pédagogique et technologique était à faire en classe ou à domicile. Il revisita alors la taxonomie de Bloom pour y ajouter une autre dimension. Celle-ci incorpore l’examen d’une tâche au principe de la justice sociale par l’intermédiaire d’une série de questions à se poser avant d’assigner cette tâche aux élèves à domicile.
Bien évidemment la première question à se poser consiste à déterminer si les élèves ont les moyens de réaliser cette tâche de manière indépendante et autonome. Sinon, est-ce que les élève ont déjà suffisamment eu l’occasion de travailler sérieusement ou de débuter ce type de tâche en classe, d’y avoir été confronté avec leurs pairs et/ou leur enseignant ? Je dirai que c’est l’approche didactique des devoirs à domicile qui est ainsi traitée.
Vient ensuite la question technologique pour Kris Shaffer. Il rejoint ainsi ce que j’ai régulièrement dit. A savoir qu’une bonne séquence à l’aide des médias et des technologies est d’abord une bonne séquence d’enseignement. La technologie ne doit jamais primer sur les questions didactiques/pédagogiques. La question technologique de Shaffer est la suivante : pour réaliser la tâche, la technologie à laquelle doivent recourir tous les étudiants est-elle suffisamment accessible à l’extérieur de l’école ?
Se pose ensuite les conditions sociales de la réussite de la tâche à la maison : la tâche est-elle raisonnablement possible aux côtés des autres devoirs donnés en classes, par les étudiants dont la vie domestique comprend du travail à temps partiel, des responsabilités importantes de ménages ou un niveau accru d’anxiété à la maison ?
Si la réponse à toutes ces questions est négative, l’enseignant court le risque de désavantager les étudiants de familles à faibles revenus. L’enseignant doit donc se demander : est-ce que cette tâche est pédagogiquement nécessaire? Si oui, l’enseignant doit fortement envisager de lui faire sa place en classe afin que tous les élèves puissent en bénéficier. A ces conditions seulement, l’école concoure à l’égalité des chances et à la réduction des inégalités sociales.
L’article complet Homework is a Social Justice Issue – Hybrid Pedagogy a été d’abord publié dans la revue Educating Modern Learners.
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