Depuis plus de 30 ans, Ludovic Slimak, directeur de recherche au CNRS, est un chasseur de néandertaliens. Il vient de publier le 5 janvier un ouvrage retraçant son parcours de chercheur sur les traces de Néandertal.
Et si nous nous étions fourvoyés sur ce que fut l’homme de Néandertal ?
Dans un véritable récit de voyage, Ludovic Slimak retrace son parcours de chercheur et nous entraîne dans une étonnante enquête archéologique. Pendant trente ans, il a inlassablement traqué ce qu’il appelle la créature. Créature, comme l’un de ces êtres qu’on apercevrait de loin, dans les brumes, sans vraiment savoir ce qu’il est, sans vraiment savoir le qualifier.
Son périple nous emmène en mille détours depuis les étendues glacées du cercle polaire jusque sur les traces d’étonnants cannibales vivant dans de profondes forêts tempérées méditerranéennes. Se confrontant aux vestiges de l’homme de Néandertal, il décrit une créature inattendue et dont la nature pourrait bien nous avoir totalement échappé. Constat d’échec ? Serions-nous incapables de concevoir une intelligence trop divergente de la nôtre ?
A l’occasion de la sortie de son livre, il a été interviewé dans l’émission Carbone 14 de France Culture. Et c’est passionnant :
https://www.franceculture.fr/player/export-reecouter?content=724b1ffb-ec3a-4fa8-abb4-14e24a82f077
Deux extraits encore d’une interview donnée récemment au journal Le Monde, à l’occasion toujours de la sortie de son ouvrage :
Comment entrer dans les sphères mentales de Neandertal, alors ?
En cessant de se focaliser sur des anecdotes ambiguës et en s’intéressant aux millions d’objets en pierre qu’il nous a légués. On a une matière gigantesque dans les collections archéologiques. Essayons de comprendre ce qu’ils nous disent. A chaque fois que je me trouve face à un objet néandertalien, j’ai l’impression d’être dans une partie d’échecs. En tant que tailleur-expérimentateur, je me demande : « Où est-ce qu’il va encore ? Qu’est-ce qu’il a voulu faire ? » Chaque objet est une pièce unique, une réflexion en soi. Il y a certes des traditions, des savoir-faire, des transmissions, mais on a quand même l’impression que Neandertal est en dialectique avec la matière, avec le silex qu’il est en train de tailler. Il va jouer avec sa texture, sa couleur, son cortex (la partie naturelle de calcaire qui recouvre le silex) et produit ses formes et ses objets en fonction des réalités matérielles qu’il a devant lui. Alors que sapiens, quelle que soit la matière première, quel que soit le silex, va produire le même comportement de manière normée et imposer à la matière sa façon de voir le monde.
Est-ce que, au fond, Neandertal est compréhensible ?
C’est un véritable défi. Pour le relever, il faut commencer par se décrasser de soi, sortir de toutes ses valeurs morales, prendre un très gros recul. Tant qu’on est prisonnier de son regard sur le monde, on n’arrive pas à comprendre les autres sociétés et encore moins en remontant dans le temps. Il faut aussi se noyer dans les objets qu’on a, dans leur milieu naturel. Depuis trente ans, je passe trois à quatre mois par an en grotte. En fouillant sur place, je vois les associations d’objets, je me retrouve dans l’espace de vie quotidien de ces populations. Après plusieurs dizaines d’années, des logiques inconscientes se mettent en place qui font que j’arrive à comprendre des choses sur les outillages, les artisanats.
Source : « En disant que Neandertal était comme nous, on l’a limité à nous » | Le Monde (14.01.2022)
Page de présentation de son ouvrage Neandertal nu, publié aux Editions Odile Jacob (site des Editions Odile Jacob).
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