Israël - Palestine : parallèles divergentes
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Parallèles divergentes
Commandé par une ONG, une page en hébreu, l'autre en arabe, une histoire d'Israël et de Palestine à l'adresse des lycéens des deux camps.
Par Ange-Dominique BOUZET - LIbération - jeudi 08 avril 2004

Histoire de l'autre
Préface de Pierre Vidal-Naquet. Introduction de Sami Adwan, Dan Bar-On, Adnan Musallam, Eyal Naveh. Traduit de l'arabe par Rachid Akel, traduit de l'hébreu par Rosie Pinhas-Delpuech. Editions Liana Levi, 95 pp., 10 €.


e titre pourrait coiffer un essai de psychologie, mais c'est d'un précis d'histoire qu'il s'agit. Un précis écrit à deux voix pour ne pas dire à quatre mains. En l'occurrence, il a impliqué deux langues et la participation de beaucoup plus que quatre mains. Deux collectifs, de respectivement six professeurs palestiniens et six professeurs israéliens, travaillant avec le concours de six délégués internationaux et d'un observateur israélien, se sont attelés à l'exposé parallèle de leur histoire : celle qu'ils partagent et qui les oppose, de la déclaration Balfour (1917) à la première Intifada (1987). Initié par PRIME (Peace Research Institute in the Middle East), une ONG fondée avec l'aide de l'Institut de recherche sur la paix de Francfort, le livre est d'abord destiné aux lycéens des deux camps. Il est court. Moins d'une centaine de pages, dont chaque feuillet comporte, à gauche, la version israélienne des faits et, à droite, la version palestinienne. Chacune a été, localement, traduite à la fois en hébreu et en arabe, et l'ouvrage, introduit en 2002, est aujourd'hui utilisé par 800 élèves dans 12 lycées.

«Dans les périodes de guerre et d'affrontements, les élèves des écoles ne connaissent qu'une partie de l'histoire, la leur, qu'ils supposent être vraie, constatent, en préambule, les initiateurs du projet. Souvent l'enseignement se trouve engagé dans un processus d'endoctrinement. (...) Les héros des uns sont les méchants des autres. Nous croyons qu'il est temps de former les professeurs à être des bâtisseurs de paix, à enseigner aux élèves leur propre histoire et celle de l'autre.» C'est assez dire que la discipline de l'exercice impliquait un effort d'objectivité de la part de chacun et le renoncement à la pure vindicte ou à la manipulation délibérément propagandiste. La confrontation n'en reste pas moins antonymique : les animateurs de PRIME reconnaissent qu'elle ne permet pas, «dans l'immédiat, d'envisager de modifier les récits ou d'en créer un qui soit accepté par les deux peuples». Mais elle engendre une perception des faits, sinon commune, du moins plus chorale, plus complète et plus complexe, jusque dans la mise en relief des dissonances irréductibles. L'intérêt pédagogique d'une telle entreprise ne se limite évidemment pas, en ce sens, au milieu scolaire et universitaire des contrées concernées. Elle retiendra l'attention de tous ceux qui recherchent une meilleure compréhension du conflit israélo-palestinien. D'où la fortune, au-delà de ses frontières, de ce petit manuel déjà traduit en Italie et qui parvient aujourd'hui en France.

[…]

Pour les uns, l'année [1948] scellera la victoire et l'indépendance d'Israël, pour les autres, la «Nakba», la catastrophe. Les hiatus sont clairs. Mais, dans le détail des argumentaires, le sens des clivages semble parfois vaciller. Par exemple, les Palestiniens recensent «plus de 100 martyrs à Deir Yassin», alors que les Israéliens reconnaissent «plus de 250» victimes de la tuerie. Ce sont eux, encore, les Israéliens, et non les Palestiniens, qui, lors de la guerre du Liban, rappellent les massacres de Sabra et Chatila (pour incriminer la «complicité passive» de leur armée face aux exactions des milices libanaises). Le manuel, dans sa concision, s'avère donc d'une texture plus complexe que la simple juxtaposition d'un positif et d'un négatif qu'il suffirait de réunir, comme les deux côtés d'une médaille, pour faire la synthèse de la réalité. Pas plus que les optiques, les cadres de visée ne coïncident. De part et d'autre, les mêmes faits sont commentés à la lumière de faits différents et les dates-clés ne s'emboîtent pas dans les mêmes chronologies. Les exposés s'allongent ou se rétractent (22 pages côté israélien pour aller de la guerre des Six Jours à l'Intifada, 13 pour les Palestiniens). Les discours s'avèrent plus ou moins monolithiques, faisant ou non la part aux dissensions «internes» de leur propre camp (quitte, sur un même thème, à se contredire d'un paragraphe à l'autre). La langue de bois fait de la résistance, s'infiltre par poèmes interposés, ou joue des ellipses. Et, au jeu des non-dits, les deux parties se rejoignent parfois dans de surprenants silences, comme le remarque Pierre-Vidal Naquet, préfacier français de l'Image de l'autre, en notant que «personne ne parle de la rencontre, le 17 novembre 1947, de Golda Meir avec le roi Abdallah de Transjordanie (...), événement capital, car, par cette rencontre, Israël s'entendit en somme avec le roi pour qu'il n'y ait pas d'Etat palestinien».

Un manuel, donc, pour fixer et mieux comprendre certaines des bases fondamentales du conflit. Mais dont le meilleur enseignement reste qu'on n'en sait jamais assez...
© Libération