Dans un texte écrit pour « Le Monde », l’écrivain italien Roberto Saviano analyse la crise sanitaire dans son pays, en particulier en Lombardie, région opulente mais principal foyer, avec plus de 10’000 victimes du Covid–19.

Dans cette tribune, outre la place de la mafia et la corruption également fort présentes dans le Nord, Roberto Saviano met en avant les choix délibérés et criminels des responsables économiques et politiques de la Lombardie. Il souligne aussi l’échec du système public/privé de l’organisation des soins. Il montre également, avec la Vénétie voisine, que d’autres choix étaient possibles pour limiter drastiquement le nombre de morts.
Or, jusqu’à présent, pour expliquer la situation dramatique et exceptionnelle de l’Italie et plus particulièrement de celle de l’Italie du Nord, les informations rapportées par la presse mettaient en avant une population italienne âgée et la structure familiale où tout le le monde vit sous le même toit. J’avais aussi entendu le rôle joué par le match des huitièmes de finale de la Ligue des Champions ente l’Atalanta Bergame et Valence qui a certainement joué un rôle dans la diffusion du Covod–19 en Espagne.
Parmi les principaux éléments mis en avant, et comme premier constat, Roberto Saviano, met en avant la question de la corruption en Lombardie et notamment dans le domaine de l’organisation des soins de santé, prérogatives des régions en Italie :
“Cette région est le territoire de Silvio Berlusconi et le fief de Roberto Formigoni, récemment condamné à cinq ans et dix mois de prison pour des actes graves de corruption concernant, justement, les liens entre le pouvoir régional et le secteur privé de santé.”
Roberto Saviano
Ensuite, entre la question économique ou la vie des gens, le choix a délibérément été fait de poursuivre l’activité économique et notamment dans les milliers de petites entreprises industrielles prospères des vallées bergamasques laminées depuis par le virus et composées souvent de moins de dix employés.
“Aujourd’hui, nous savons que pour éviter de confiner des ouvriers indispensables aux chaînes de montage et qui, surtout dans le cas des toutes petites entreprises, ont dû choisir entre la vie et le travail, on a favorisé une diffusion massive de la contagion. Or cette contagion a provoqué une mortalité épouvantable. Cette réalité nous saute aux yeux, offrant l’image d’un territoire géré par des classes dirigeantes qui auraient décidé de « ne pas s’arrêter », conscientes du risque de l’hécatombe, voire pariant sur le destin.”
Roberto Saviano
Par ailleurs, les choix effectués par les autorités en Vénétie, région tout aussi dynamique économiquement, montrent que ce n’est pas le résultat de la fatalité. Roberto Saviano met en avant trois choix fondamentalement différents pris par les autorités de Vénétie :
“A la différence de la Lombardie, la Vénétie a beaucoup misé sur le dépistage des personnes asymptomatiques pour identifier les foyers de contagion et agir ensuite rapidement en isolant les territoires concernés. A la différence de la Lombardie où le virus a vu croître la contagion à cause de l’impréparation des petits hôpitaux, la Vénétie a tenté de limiter les hospitalisations des malades (sauf, bien sûr, pour les cas graves) en privilégiant les soins à domicile.”
Roberto Saviano
Le bilan humain est incomparablement différent alors que plus de 10´000 personnes ont perdu la vie en Lombardie, moins de 800 personnes l’ont perdu en Vénétie, “alors même que le nombre de tests de dépistage du virus y est à peu près équivalent (entre 170 000 et 180 000)”. Le constat est sans pitié et les responsabilités évidentes pour les dirigeants lombards.
Dans sa conclusion, Roberto Saviano nous interpelle ;
“peut-être est-il encore temps de sortir de la pandémie pour vivre une utopie : admettre que la productivité et les comptes bancaires ont moins de valeur que les personnes, prendre conscience que notre survie dépend du maintien et de l’expansion de nos droits, comprendre qu’une action politique obnubilée par l’argent est mortifère et ne génère pas de richesses.”
Roberto Saviano
Je ne peux qu’espérer avec lui qu’il n’est pas encore trop tard.
Source : Roberto Saviano. « La faiblesse, c’est de se croire invincible » | Le Monde