L’automne sera-t-il consacré au rock progressif ? Ce genre un peu oublié opère un retour sympathique en ce début d’automne notamment grâce à de nouveaux albums de Marillion et de Kansas. L’ère est au vintage et d’autres groupes ou artistes s’ajoutent à ces prestigieux anciens.
Après la chronique du dernier Kansas, nous continuons notre périple discographique automnal avec Marillion et son dernier et 18ème album F.E.A.R. (Fuck Everyone And Run).
L’histoire de Marillion se décline en deux époques, en fait deux fois deux époques, distinctes. Au niveau de la composition du groupe, les deux époques correspondent aux deux chanteurs soit Fish (1979 à 1988), puis Steve Hogarth (1988 à aujourd’hui). Il y a également une première époque où le groupe est signé par une major du disque (EMI) jusqu’en 1997, puis une deuxième époque où le groupe devient un pionnier du crowdfunding dès 2000 (Racket Record), avant même que ce terme ne soit véritablement inventé. Désormais le groupe est totalement indépendant et finance ses productions à l’aide du public.
Cette indépendance lui donne une liberté totale tant au niveau musical que thématique. Avec Marillion, le rock progressif est un rock engagé, voire subversif. Un morceau comme Gaza, sans prendre partie pour l’un des camps, n’a pas manqué de faire grincer des dents comme l’exprimait en 2013 Steve Hogart pour Rocknconcert :
«J’ai en effet reçu de nombreuses critiques. Mais ce qui est intéressant, c’est que les critiques émanent de territoires non concernés par ce conflit. D’après certains, il s’agirait d’un propos anti-israélien disant que je tiens les israéliens pour responsables du conflit. Tout ce que je peux répondre, c’est qu’ils me le prouvent en me montrant ces passages dans les paroles.
J’explique la situation du point de vue d’un enfant qui grandit à Gaza. J’ai passé de nombreux week-ends à rentrer en contact avec des personnes habitant Gaza via Skype afin rassembler des éléments objectifs. Je leur ai donc posé des questions sur les conditions de vie et ce qu’ils pensaient des israéliens. J’ai ainsi pu me rendre compte que ces témoignages ne reflétaient pas ce que nous disaient les médias car à la différence de ce que l’on peut penser, ils ne haïssent pas les israéliens. Donc tout ce que je dit dans cette chanson est basé sur les témoignages recueillis. Les critiques sont inévitables car il existe trois points de vue différents sur le sujet : celui des occidentaux, celui des palestiniens et celui des israéliens. J’ai tenté de donner une version plus universelle sur le sujet.»
Désormais Marillion prend son temps pour composer et réaliser ses albums. Ainsi concernant ce dernier opus, Steve Rothery indique dans un très récent interview que «les paroles ont été écrites en parties maintenant trois ans en réaction à ce qui se passait dans le monde à ce moment-là. Elles sont en partie un pressentiment de ce qui allait advenir et du prix que nous payons aujourd’hui».
L’album peut être découpé en cinq grandes parties, trois principales et deux brèves.
La première Eldorado parle de la participation de la Grande-Bretagne dans la guerre d’Irak et des répercussions : la crise et le terrorisme.
F E A R is everywhere here
Under the patio
Under the hard-earned bought and paid-for home
Cushions, scented candles and the lawnMowing to the beat and the rumble of the coming storm
Avec Living in Fear, Marillion agit, dans cette brève partie, en contrepoint de la conclusion d’Eldorado :
Our wide eyes
Aren’t naive
They’re a product of a conscious decision
The welcoming smile is the new Cool
The key left in the outside of the unlocked door
Isn’t forgetfulness
It’s a challenge to change your heart
There’s always a price to pay
Living in f e a r is so very dear
Can you really afford it?We’ve decided to risk melting our guns as a show of strength
We’ve decided to risk melting our guns as a show of strength
As a show of strength!
Vient ensuite la troisième partie The Leavers , elle évoque la question des migrants notamment ceux de Calais
Les bouteilles qui se vident
De Douvres à Calais
De Paris à Hambourg
Strasbourg à Stockholm
Dans des bus qui vrombissent de Newport… à New York !
On s’assoupit à Londres ou Lisbonne ou Lima
On se réveille à Munich
Réveillés en musiqueNous sommes ceux qui partent
Nous sommes ceux qui partent
(Traduction par Dany de Mongenot)
La quatrième partie est très courte avec White Paper. Elle évoque celui se passe lorsqu’avec les années vous devenez un observateur de la vie plutôt qu’un acteur de celle-ci et que vous laissez de côté vos rêves d’une vie meilleure.
L’album se conclut avec les nouveaux rois (The New Kings). Cette partie parle des milliardaires russes qui détiennent les réserves de gaz. Ce morceau traite plus globalement des institutions qui exploitent le monde sans penser aux conséquences à long-terme.
Nous sommes les nouveaux Rois
Nous naviguons sur nos mers de diamants et d’or
Nous sommes les nouveaux Rois
Rarement visibles, ailleurs et inconnus
Nous sommes les nouveaux Rois
Nous faisons main basse sur Londres depuis Monaco
Nous faisons ce qu’il nous plaît
Tandis que vous faites ce que l’on vous ditEnvoyez chier tout le monde et tirez-vous
Envoyez chier tout le monde et tirez-vous
Cette dernière partie est écrite au vitriol:
Tandis que les mineurs sortent de terre les diamants que nous portons, au péril de leurs vies
Agenouille-toi, paysan, et baise cet anneau
Tu travailles pour le nouveau roi
(Traduction par Dany de Mongenot)
La qualité de l’interprétation musicale est au diapason de l’ambition des textes. Indubitablement F.E.A.R. (Fuck Everyone And Run est un album majeur de la discographie de Marillion. En 2016, il donne de nouvelles lettres de noblesse au rock progressif.
A écouter urgemment.
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