Carl Watson lance ses héros dans un voyage halluciné entre parano et parodie. Avec À contre-courant rêvent les noyés, Watson nous a concocté, entre autres, une parodie de Sur la route de Kerouac. Moto, routes, vinyles, Janis Joplin et les années 1970, cela ne peut que m’intriguer et me donner envie de le lire.
« J’émis l’idée que le mythe de la route américaine en tant que métaphore de la liberté était en train de s’estomper, et que la quintessence du récit occidental n’était plus « la route » mais plutôt le mystère, parce que la paranoïa et la tromperie étaient des phénomènes endémiques. »
Carl Watson reprend les choses où les avaient laissées ses grands prédécesseurs : Kerouac, Ginsberg et toute la Beat Generation. Comme eux, Frank Payne et Tanya McCoy prennent la route, traversent les Etats-Unis et rêvent à une vie plus authentique, loin de la routine du quotidien et des conformismes sociaux. Mais nulle trace de romantisme, A contre-courant rêvent les noyés est un grand roman sur le désenchantement du monde et la perte des illusions. Ce que saisit avec une rare acuité Carl Watson, c’est ce moment où quelque chose bascule, où la « contre-culture » se laisse engloutir par le mercantilisme :
« Selon moi, il s’agissait de faux « produits culturels » présentés comme « authentiques » afin de simuler une réalité bidon dont le seul but était de vendre des annonces publicitaires d’une sous-culture artificielle à ceux qui possédaient les mêmes livres et qui, dans leur communion extatique, se croyaient supérieurs aux autres. La classe ouvrière était oubliée depuis longtemps ; la gauche avait évolué vers le pire : ce n’était plus que de la pose ; le gauchisme était devenu une mode. »
Source : https://www.culturopoing.com/livres/carl-watson-a-contre-courant-revent-les-noyes/20200506)
Prendre la route dans les années 70 ne va pas sans une certaine bande-son (les vinyles de Janis Joplin accompagnent le nouveau roman de Carl Watson), et la certitude que rien n’est innocent. Tout a déjà été vécu et écrit par la génération précédente, celle des années 50 (un exemplaire de Sur la route de Jack Kerouac traîne ici ou là), rien ne sera jamais aussi libre et jouissif que les fastes années 60 qui ont succédé au long après-guerre. Le type de voyage que propose Carl Watson dans A contre-courant rêvent les noyés nécessite un avertissement, il nous est prodigué dès l’incipit : «Il était environ vingt-deux heures trente, au début du mois d’octobre 1974, une époque de profonde dislocation spirituelle et d’effondrement émotionnel.» Frank Payne – Francis Lucretius Payne – et Tanya McCoy, ensemble par intermittence, font de l’auto-stop de Portland à La Nouvelle-Orléans, puis repartent à moto vers la Californie où Tanya a des amis.
Avoir des amis consiste à demander un coin pour dormir ou au moins poser son sac, et partager de l’alcool, bières, gin, bourbon, porto, n’importe quoi ajouté à l’héroïne et aux cachets divers, codéinés ou non. On discute. «J’émis l’idée que le mythe de la route américaine en tant que métaphore de la liberté était en train de s’estomper, et que la quintessence du récit occidental n’était plus « la route » mais plutôt le mystère, parce que la paranoïa et la tromperie étaient des phénomènes endémiques.»
Source : «A contre-courant rêvent les noyés», bitume postbeatnik – Libération
Le livre : Carl Watson. A contre-courant rêvent les noyés. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Thierry Marignac. Vagabonde, 340 pp., 19,90 €.
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