Comment transmet-on aux nouvelles générations l’histoire de la colonisation ? Si celle-ci a toujours figuré dans les programmes scolaires, son contenu s’est problématisé et politisé au fil du temps, montre la chercheuse Laurence De Cock dans son livre Dans la classe de l’homme blanc – L’enseignement du fait colonial en France des années 1980 à nos jours, publié par les Presses Universitaires de Lyon en août 2018.
Présentation de l’ouvrage par l’éditeur :
Que faire des enfants de l’immigration coloniale et postcoloniale ? L’école doit-elle adapter ses programmes à leur présence ? La question de l’articulation entre l’universalisme républicain et la pluralité culturelle a toujours travaillé l’institution scolaire, mais elle s’est reconfigurée ces quarante dernières années pour répondre aux débats sur l’immigration et la mémoire coloniale. Que faire des héritages d’une histoire douloureuse pour les uns, glorieuse pour les autres, méconnue de beaucoup ?
À partir des archives de l’Éducation nationale, mais aussi des textes officiels et des manuels scolaires, Laurence De Cock retrace les débats qui ont agité l’enseignement de l’histoire de la colonisation depuis les années 1980. En analysant la confection des programmes d’histoire, elle interroge l’influence des débats publics sur leur écriture et montre combien le passé colonial, progressivement saisi par le politique, bouscule en profondeur la fabrique scolaire de l’histoire. Pour un enseignement qui a toujours eu comme finalité de contribuer à l’intégration sociale, les nouvelles demandes de reconnaissance des enfants et petits-enfants d’immigrés sont un facteur de reconfiguration de la discipline historique et des finalités de l’école républicaine.
Laurence De Cock est docteure en sciences de l’éducation, professeure agrégée en lycée et chargée de cours en didactique de l’histoire et sociologie du curriculum à l’Université Paris-Diderot. Elle a notamment publié, avec Benoît Falaize et Corinne Bonafoux, Mémoires et histoire à l’école de la République : quels enjeux ? (Armand Colin, 2007) et dirigé La Fabrique scolaire de l’histoire (Agone, 2017). Elle vient de publier Sur l’enseignement de l’histoire : débats, programmes et pratiques de la fin du XIXe siècle à nos jours (Libertalia, 2018).
Pour commander le livre : http://presses.univ-lyon2.fr/produit.php?id_produit=2033&id_collection=155
Vous pouvez lire quelques extraits de l’introduction de cet ouvrage sur The Conversation : http://theconversation.com/dans-la-classe-de-lhomme-blanc-lenseignement-du-fait-colonial-en-france-102069
Un extrait :
«Comment l’enseignement du fait colonial est-il devenu l’un des contenus scolaires les plus mobilisés dans les débats publics pour, à la manière de la citation d’Alain Finkielkraut donnée plus haut, témoigner d’un malaise dans la République et son école, voire d’un risque pour la nation ?
C’est cette première question qui nous intéresse ici. Elle appelle une analyse pas à pas. Elle charrie un premier implicite : la conviction du caractère performatif de ce qui est enseigné en histoire sur la forme sociale. Par ailleurs, la dramatisation excessive et la croyance en la transitivité entre l’apprentissage des faces sombres du passé colonial et le désamour national témoignent également de l’importance accordée à l’enseignement de l’histoire en France. Dans un essai publié juste après les attentats de 2015 et intitulé Nous sommes la France, Natacha Polony avance même que l’enseignement d’un roman national enchanteur permettrait de lutter contre la radicalisation islamiste des jeunes.
Il est impossible, en outre, de comprendre la sensibilité politique de la thématique coloniale sans se référer à la spécificité de la France, ancienne puissance coloniale et accueillant sur son sol une immigration, dont une grande partie provient des anciennes colonies, et ses descendants. La France est une terre d’immigration coloniale (migrants arrivés du temps des colonies) et postcoloniale (migrants arrivés après la décolonisation). Or le système colonial a été fondé sur le principe d’inégalités juridiques entre les hommes, de domination et d’usage légitime de la violence. »
Complément du 3 septembre 2018 :
Le journal Les Inrocks consacre un passionnant entretien à propos de cet ouvrage en interrogeant avec Laurence De Cock . Laurence De Cock parle notamment des différents moments et manières qui l’ont conduite à s’intéresser à la question de l’enseignement du fait colonial en France et sur son parcours d’enseignante. Cet intérêt l’a amené jusqu’à la conduite de cette thèse qu’elle publie aujourd’hui. Je vous invite ardemment à aller lire cet entretien. J’y extrait modestement le passage où Laurence De Cock s’exprime sur la manière qui, selon elle, conviendrait à l’enseignement du fait colonial en France :
« En fait, idéalement, je pense qu’on ne devrait pas consacrer un chapitre spécifique à la question coloniale. Si je devais reformuler la question, je dirai que l’idée n’est pas de savoir quelle finalité on assigne à l’enseignement du fait colonial, mais de savoir quelle finalité on donne à l’enseignement de l’histoire tout court – à l’intérieur duquel, le fait colonial, comme d’autres points historiques, a son importance. Il faudrait trouver une forme de récit dans lequel la question coloniale serait présente comme allant de soi depuis ses premières officialisations, c’est-à-dire depuis que les Européens ont pris pied sur le continent américain. Cela voudrait donc dire raconter l’histoire du monde, et de la France dans le monde, avec, entre autres choses, ce prisme colonial, qui ne serait pas du tout un élément isolé, qui n’aurait pas de rapport avec le capitalisme, avec la circulation des hommes et des femmes… On pourrait presque dire que ce nouveau récit que j’appelle de mes voeux ferait courir le fait colonial du XVIe siècle jusqu’à nos jours, et que la question coloniale y servirait d’élément d’explication d’un certain nombre de faits historiques qui sont amputés, si on n’y adjoint pas la question coloniale. Et qui risquent, aussi, d’être transformés et faussés si on ne les regarde qu’à travers le prisme colonial. Je crois donc que consacrer des chapitres spécifiques, que ce soit sur la traite, sur les conquêtes, sur les décolonisations etc, est en réalité une manière de poursuivre le cantonnement de cette histoire-là, de faire des avenants au contrat, mais de ne pas trouver les moyens de l’inclure dans une continuité historique qui nous constitue, qui irrigue le monde depuis maintenant cinq siècles.»
L’article : Comment le “fait colonial” a-t-il été enseigné en France depuis les années 1980 ? | Les Inrocks
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