Lors de sa séance du 23 février 2005, l’Assemblée nationale française a voté une loi portant sur «la reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés.»
Rien de particulier en apparence. A tel point qu’elle ne suscite de réaction qu’une fois sa publication dans le journal officiel. La raison ? Elle est simple. En effet, après une entrée en matière bateau («les programmes de recherche universitaire accordent à l’histoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu’elle mérite»), son article 4 bascule alors dans l’hagiographie coloniale :
«Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit.»
Rôle positif ? comme le massacre de Sétif de 1945? On croît rêver !
Comme l’indique l’historien d »origine pied noir Claude Liauzu dans le journal Libération du 26 mars :
«en ne retenant que le « rôle positif » de la colonisation, [cette loi] impose un mensonge officiel sur les crimes, sur les massacres allant parfois jusqu’au génocide, sur l’esclavage, sur le racisme hérité de ce passé ; parce qu’elle légalise un communautarisme nationaliste suscitant en réaction le communautarisme de groupes ainsi interdits de tout passé.»
Dès lors, Claude Liauzu alerte ses pairs et ils rédigent le texte d’une pétition : «Il faut abroger cette loi, écrivent-ils, parce qu’elle impose une histoire officielle contraire à la neutralité scolaire et au respect de la liberté de pensée qui sont au coeur de la laïcité.»
L’écho est immédiat : la pétition est diffusée sur le site de la section de Toulon de la Ligue des droits de l’homme et un appel à signature est publié dans le journal Le Monde (24 mars 2005).
L’article complet de Libération : http://www.liberation.fr/page.php?Article=285319
Bonjour,
J’ai signé l’appel contre la loi de février 2005. Parce que l’État, maître des programmes scolaires, n’a pas à imposer, pour autant, une interprétation de l’histoire contre une autre, particulièrement lorsque celles-ci sont l’objet de controverses historiographiques (c’est également la raison pour laquelle j’approuve le texte des historiens opposés à TOUTES les lois mémorielles).
Mais, votre argumentation me semble un peu courte. Expédier la question du « rôle positiif » de la colonisation en lui opposant les massacres de Sétif est caricatural. On ne peut réduire la période coloniale au 8 mai 1945 à Sétif.
Il est tout à fait envisageable de discuter de la positivité de la colonisation sans nier les massacres, sans verser dans l’apologie du « bon temps des colonies ». Ce que fait, par exemple, l’historien algérien Mohammed Harbi :
« La colonisation a été ambivalente dans ses effets. D’un côté, elle a détruit le vieux monde, au détriment de l’équilibre social et culturel et de la dignité des populations. D’un autre coté, elle a été à l’origine des acquis qui ont créé la modernité algérienne. (…) On peut même dire, sans risque de se tromper, que la colonisation a été le cadre d’une initiation à ce qui est une société civile, même si cet apprentissage s’est fait malgré elle et s’est heurté à une culture coloniale, d’essence raciste » (« L’Algérie et son destin. Croyants ou citoyens », Arcantère, 1992, p. 26 et 27).
D’aileurs, le propos de Claude Liauzu cité par vous-même, «en ne retenant que le « rôle positif » de la colonisation, [cette loi] …», ne nie pas cette dimension positive. Cet auteur, qui vient de disparaître, écrivait en présentation du « Dictionnaire de la colonisation française » (Larousse, 2007, p. 17) :
« …l’Occident a aussi introduit des bribes de ces références libérales et humanistes. Aussi, quand bien même la Chine ou tel État musulman y opposent leurs spécificités culturelles et religieuses, ils ne peuvent empêcher la naissance de ce produit paradoxal et largement involontaire de la colonisation qu’est l’individu et la question de la femme. »
Michel Renard
professeur d’histoire dans au lycée de Saint-Chamond (Loire, France)
http://etudescoloniales.canalblog.com/
Je reconnais bien volontiers et j’assume le côté réducteur de « liquider » les effets positifs de la colonisation avec le seul exemple des massacres de Sétif en 1945.
J’aurais pu en ajouter d’autres néanmoins, mais tel n’était pas mon propos.
Je ne pense pas non plus que l’on peut parler d’un bilan « globalement positif » de la colonisation. Dans le cadre de la colonisation, les mécanismes de domination engagés ont largement amené à l’aliénation et à une dépendance qui dure encore jusqu’à nos jours. Sous d’autres formes.
Par exemple, j’ai été récemment frappé par le « pillage » des ressources vives du continents africains pour alimenter les hôpitaux notamment américains en médecins et infirmières. Bien sûr ce phénomène de captation n’est pas propre au continent africain et touche également les pays de l’Est par exemple. Mais il est symptomatique des liens de dépendance particulier du continent africain dans l’exemple présenté.
Je ne pense pas, non plus, qu’enseigner la colonisation consisterait à construire un simple tableau à double colonne où les + et les – s’équilibreraient. Je précise, qu’en disant cela, je ne veux pas inférer que cela serait votre position « didactique » ou historiographique. En tant qu’enseignant, j’ai rencontré cette manière de procéder dans un manuel de géographie suisse relativement au régime de l’apartheid.
Plus fondamentalement, il me paraîtrait important, nécessaire, primordial qu’au travers d’un sujet comme la colonisation mes élèves, nos élèves saisissent et comprennent la mise en place des mécanismes de cette domination et ses conséquences à court, moyen et long terme. Je tiens à me situer ici au-delà du caractère positif ou négatif de la colonisation ou d’un jugement moral bien/mal tel que le préconisait la loi du Sénat. Mais d’aller dans le sens de la compréhension de ce phénomène historique.
Je vous remercie à triple titre de votre intervention :
– d’une part d’avoir pris la peine de me lire et de me répondre;
– d’autre part, pour avoir permis de préciser une pensée un peu sommaire (et c’est le but de ce type de communication qu’est le blog et c’est malheureusement trop rare)
– enfin, de m’avoir permis de développer mon positionnement « didactique » relativement à ce sujet de la colonnisation.