En relisant 17 ans après mon texte précédent Ces (im)possibles réformes scolaires – EVM : arrêt sur image (2000), mais surtout la synthèse et mes propositions, je constate que mes présuppositions, voire prédictions, ont été confirmées par la suite.
Ainsi, mes craintes sur la fragilité du projet pédagogique étaient fondées. Et cela sans que la droite ait à reprendre le Département. Ainsi, il en a été avec la révision du cadre de l’évaluation sous l’égide d’Anne-Catherine Lyon. Par la suite, les quelques éléments instaurant en voie secondaire générale des démarches par projet (le projet interdisciplinaire en 8e/9e) sont également passés à la trappe.
Par ailleurs, il faut préciser que le projet EVM comportait initialement une contradiction fondamentale dans son projet pédagogique. En effet, d’un côté, la différenciation était prônée et le message était de laisser progresser les élèves à leur rythme. D’un autre côté, la sélection en trois voies était maintenue à l’issue du cycle de transition.
Les trois mandats d’Anne-Catherine Lyon ont amené une rigidité et une très forte verticalisation du système renforçant le côté pyramidal évoqué. Moins que jamais les initiatives pédagogiques n’ont été soutenues. C’est particulièrement flagrant en matière d’utilisation des outils numériques ou de l’établissement d’une culture de la formation qui serait développée par les équipes et au sein des établissement scolaires. Les Conseils d’établissement sont des coquilles vides.
Quelques avancées ont eu lieu. Sous l’impulsion de l’harmonisation scolaire voulue au niveau fédéral et concrétisée au niveau romand, la LEO organise désormais le primaire jusqu’à la fin de la 8e Harmos. Concernant les différentes catégories de maîtres présents au sein d’un même cycle, quelques avancées positives ont eu lieu également.
Concernant la HEP, la première phase de l’institution correspondait au développement d’un gymnase amélioré qui ne répondait pas (ou fort peu) à la nécessité d’une véritable tertiarisation de la formation. Cette phase s’est conclue par la non-accréditation de l’institution. Depuis lors, le cap a été modifié et la HEP se développe sous la forme d’une institution tertiaire indépendante et non intégrée à l’Université de Lausanne. Cependant, la démarche Swiss Universities et les accréditations qui en découlent amènent l’ensemble des institutions tertiaires (Universités, HES, HEP) à répondre à des exigences comparables notamment en matière de recherche.
Concernant la LEO, la réforme du secondaire n’a pas été dans une des deux directions que j’évoquais c’est-à-dire soit l’organisation en deux voies/filières (mais sans niveaux), soit une voie unique, mais avec niveaux. C’est un hydre à deux têtes qui pourrait bien augmenter les ségrégations scolaires plutôt que les aplanir. Sans compter les difficultés organisationnelles qui en résultent. Les modifications apportées à l’occasion de cette rentrée 2017 permettront certainement d’instaurer un meilleur confort, mais ne permettront pas, à mon avis, à terme de corriger durablement la situation.
Globalement ce qui me frappe en retraçant les différentes réformes ou tentatives de réformes initiées depuis la fin des années soixante dans le canton de Vaud par les travaux de la Commission dite « des quarante » (1960-1970), c’est l’arrêt des réflexions et projets pédagogiques menés localement et durablement par des équipes pédagogiques. A ce titre, le coup d’arrêt porté en 1981 en votation populaire au décret scolaire, intégrant des éléments développés dans les zones pilotes, aux démarches initiées sur le terrain est aujourd’hui encore lourd de sens plus particulièrement, à mon avis, au secondaire 1 (cycle 3). Ce marasme a été renforcé premièrement par des réformes structurelles centrées sur les questions de sélection et d’organisation scolaire et, deuxièmement, par la hiérarchisation renforcée du système, piloté par de multiples directives.
Par ailleurs, aujourd’hui encore, la question de la sélection reste, dans ce canton, une question socialement vive et peu apaisée. Elle amène les équipes pédagogiques à s’imposer elles-mêmes sur le terrain des dispositifs souvent hypercontraignants allant à l’encontre, y compris pour des disciplines n’intervenant pas dans les décisions d’orientation-sélection, de considérations pédagogiques élémentaires. C’est en outre trop souvent le seul élément de discussion au sein des équipes.
Plus que jamais avec les intentions affichées par Cesla Amarelle, nouvelle ministre vaudoise de l’éducation, en matière d’école numérique, l’enjeu sera de faire émerger des projets comprenant une ambition pédagogique réelle et de construire avec les équipes pédagogiques et leurs directions d’établissement. Et il faudra leur donner du temps, denrée indispensable, mais dépassant le temps d’une législature, à l’implantation réelle, incrémentale et durable de changements, voire d’innovations qui permettront à l’école de faire face aux défis de la société numérique. Sans cette base-là, il n’y aura pas de réforme possible.
Lyonel Kaufmann (2017)
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