Paru 1932, l’originalité du livre de l’historien Georges Lefebvre réside toujours dans l’étude de la psychologie collective. Ce sont les représentations qui importent. Le complot, dans la réalité, n’existait pas. Mais ce qui importe, c’est que les contemporains, eux, y aient cru. Et cette idée de complot est cruciale dans la Grande Peur. La Grande Peur de Lefebvre s’inscrit dans l’étude des mentalités avec d’autres livres d’histoire très célèbres, comme Les rois thaumaturges de Marc Bloch et Martin Luther de Lucien Febvre.
Georges Lefebvre La Grande peur de 1789
Comme l’indique l’article Wikipedia consacré à Georges Lefebvre, La Grande Peur de 1789. Ce livre lui vaut des commentaires très élogieux, quoique non dénués d’éléments critiques, de Marc Bloch, son collègue strasbourgeois qui écrit dans son compte rendu de l’ouvrage :
« Sa portée, au regard de l’historien, réside avant tout, dans la valeur de symptôme, propre à déceler l’état du corps social ; et c’est de l’avoir en effet étudié de ce biais que la méthode de M. Lefebvre tire son originalité. Partant de cet ensemble de menus faits, immédiatement apparents et dont le pittoresque avait souvent masqué le sens profond, l’auteur, recherchant de proche en proche leur explication, nous fait pénétrer jusqu’au cœur de la société française du temps, dans sa structure intime et le lacis de ses multiples courants6»
https://fr.wikipedia.org/wiki/Georges_Lefebvre_(historien)
En 2004, l’historien Timothy Tackett, revient dans les Annales de la Révolution française sur ce qui fait toujours l’actualité de cet ouvrage :
Ce n’est qu’après des années de recherches assidues que Lefebvre put démontrer irrévocablement que la Peur, en fait, n’était pas un phénomène simultané, mais qu’elle consistait plutôt en une série de paniques en réactions en chaîne provenant de cinq ou six sources et qui se déroulaient pendant une période de trois semaines.
Timothy Tackett, « La Grande Peur et le complot aristocratique sous la Révolution française
», Annales historiques de la Révolution française, no 335, janvier-mars 2004, p. 1-17 (lire en ligne).
Timothy Tackett met aussi en évidence la méthode historique de Lefebvre et ses liens avec l’histoire-problème:
Idem
Au départ, dans son introduction, Lefebvre maintient que son interprétation [sur les complots aristocratiques] n’est pas définitive et qu’elle peut être considérée comme une sorte d’hypothèse de travail : « en signalant les questions à résoudre et en suggérant des solutions, on a une chance de susciter et d’orienter des recherches nouvelles »
Sur la base de travaux plus récent, Timothy Tackett en conclut que sur ce complot, la thèse de Lefebvre, et d’autres, doit être réévaluée :
Pour une grande partie de la population française, notamment chez les habitants des zones rurales, la transformation des attitudes vis-à-vis de la noblesse put initialement se manifester après les débuts de la révolution politique. Elle se produisit non comme un abrupt “changement de paradigme”, mais évolua sur plusieurs mois, voire plusieurs années, alimentée entre autre par l’action des législateurs révolutionnaires eux-mêmes. Il ne fait aucun doute que les décrets qui suivirent la Nuit du 4 août procédèrent en partie du traumatisme de la Grande Peur et des insurrections paysannes du mois de juillet. Mais ces décrets, en fait, aidèrent à concentrer plus que jamais l’animosité anti-aristocratique. La méfiance envers la noblesse et les craintes d’un complot aristocratique, en effet, furent probablement bien plus importantes dans les années qui suivirent 1789 qu’elles ne l’avaient été à l’époque même de la Grande Peur.
Idem
Ceci sans enlever à la qualité du travail réalisé alors, sur la base des sources alors à sa disposition, au travail de Georges Lefebvre.
Dans la perspective de l’enseignement de l’histoire, il convient maintenant d’observer dans quelle mesure, ces travaux plus récents ont été intégrés aux manuels d’histoire ou dans les encyclopédies.
Ainsi, l’encyclopédie en ligne Larousse fait partie des ressources complémentaires proposées par les Moyens d’enseignement romands (MER) pour le cycle 3. Voici l’extrait de cette encyclopédie consacrée à la Grande Peur:
2.4. LA GRANDE PEUR ET SES CONSÉQUENCES
Dans tout le pays, ce choc ébranle les autorités. Les partisans des réformes (qui s’appellent entre eux les « patriotes ») prennent le pouvoir dans les municipalités urbaines et, parfois, chassent les troupes stationnées dans les châteaux royaux. Dans les campagnes, des rumeurs incontrôlées poussent les ruraux à s’armer contre de mystérieux « brigands », accusés de brûler les récoltes. Ils forment des attroupements qui s’en prennent aux propriétaires, détruisent des titres de propriétés, dévastent des logis seigneuriaux, molestent des personnes jusqu’à parfois les tuer.
Les événements parisiens, aussi inquiétants que prometteurs, trouvent manifestement un écho qui témoigne des attentes et des craintes des ruraux français, lesquels espèrent souvent la fin des impôts, celle de la police des blés, et des terres à acheter ! Cette manifestation de psychose collective, que l’on a appelée la « Grande Peur », se répand du 20 juillet au début d’août dans presque toute la France – n’y échappent guère que la Bretagne, l’ouest de l’Aquitaine, la Lorraine et l’Alsace.
https://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/Révolution_française/140733
Est-ce mieux dans cette émission proposée par Fred de « C’est pas sorcier », série souvent prisée par les enseignant•es, également recommandée par le site destiné aux enseignant•es romands ? Je vous laisse juge. L’événement est présenté, dans l’émission au travers d’Olympe de Gouge (à partir de 15:30) :
Au travers de ces deux exemples, on voit ainsi que la thèse initiale de Georges Lefebvre a encore de beaux jours devant elle malgré les travaux historiques menées depuis lors l’ayant révisée.