Le point de départ de Philippe Dumas
A l’un des extrêmes, le conservatisme se fonde non seulement sur le refus d’entrer dans le monde digital, mais encore plus sur la croyance que l’apprentissage, vu qu’il est sempiternellement à l’ordre du jour, obéit à des lois immuables. En France, par exemple, c’est le psychodrame permanent de la pérennité de l’orthographe et du mythe de la dictée ou le conflit entre tenants de la vocation contre ceux qui prônent la pédagogie.
A l’autre extrême, le technicisme est une forme d’idolâtrie pour ce qui est nouveau, en pensant que cela va tout changer, et sous-entendu tout améliorer. L’exemple serait celui du mythe de la démocratie par l’internet, ou de la suppression des « profs » par les cours en ligne pour améliorer la diffusion de masse des connaissances.
L’injonction de l’innovation
[…] le thème de l’innovation est une injonction institutionnelle constante dans la mesure où les politiques sont sous pression de leurs opinions et de leurs électeurs pour faire ce qu’il y a de mieux en matière de formation des jeunes. Mais comme l’ont prouvé de nombreuses études, dont celle réalisée en 2004-2007 par Isabelle Pybourdin (2008) sur l’appropriation des Tic dans les écoles du premier degré, l’innovation imposée ou décrétée par le haut – top-down – ne peut produire les résultats escomptés.
A qui profitent les TICE?
Le groupe Fourgous et beaucoup d’enseignants de langues prônent l’usage de MP3 pour la pratique des langues. Comme souvent, les élèves les plus à l’aise dans les langues (et qui ont donc à peine besoin de ce dispositif) sont ceux qui l’exploitent le mieux. Les élèves en difficulté ne peuvent pas en profiter seuls, car leur problème est déjà de savoir écouter et savoir réguler son écoute (arrêt, retour, répétition, etc).
Extraits de la conférence de Philippe Dumas: Texte_conférence_Philippe Dumas TICE et Didactique IV 2010 (.pdf).
Bonjour Lyonel,
Ce qui me dérange chaque fois que je lis ce type d’études (…ce qui était rare avant que je ne lise les billets/articles d’un certain Lyonel Kaufmann 😉 ), c’est que, d’une part elles prennent généralement pour exemple les élèves « à l’aise » – ou « talentueux – par opposition aux élèves [dits] « en difficulté », et d’autre part qu’elles passent souvent sous silence – voire évacuent du champ de la réflexion – un intervenant ou un acteur incontournable, celui-là même à l’origine du « ressenti conservateur » que « la qualité [des] produits [de l’enseignement tel qu’il se pratique aujourd’hui] est […] inférieure à celle qu’avaient connus nos parents » : les parents !
J’en veux pour preuve que dans cette étude, très intéressant au demeurant, les parents n’y sont cités que deux fois : la première, je viens de le faire ci-dessus, la seconde pour n’évoquer que leur rôle « [d’initiateurs] à la vie en société, donc de ses droits, mais aussi de ses contraintes et de ses frustrations à surmonter ». C’est, finalement, assez réducteur.
Dans le cadre de la scolarité de leurs enfants – si je me base sur mon vécu de parent d’un élève de primaire, le parent a aussi – et je dirai surtout – un rôle de garant que son enfant, qui ne fait pas forcément partie de la catégorie des « élèves en difficulté » ou de celle des « élèves à l’aise », mais bien de la masse des élèves sans difficultés ou talents scolaires particuliers, ne se trouvent pas un jour en butte aux biais interventionnistes de la « machine pédagogique » (…c’est un peu fort, c’est vrai, mais je fais là un parallèle avec les dérives de « l’interventionnisme social », bien connues des chercheurs en sciences sociales).
J’entends par là que si les parents n’ont pas en mains les outils employés en classe pour, en dehors du temps de classe, aider leur enfant à passer un écueil ou une résistance d’apprentissage momentanée, ou a préparé une évaluation, ils n’ont d’autre alternative que de se fier à l’affirmation de l’institutrice, de l’instituteur, du·de la prof’ qui lui dira à un moment ou un autre, sur la base d’outils d’apprentissage et d’évaluation – que le parent ne maîtrise pas, donc dont il ne peut pas juger de la validité par rapport à ce qu’il a connu lors de sa propre scolarité – que sa fille·son fils se trouve en difficulté, voire en situation d’échec sur une matière spécifique ou de manière générale, et qu’il lui faut donc, au mieux des cours d’appoint, au pire intégrer une classe qui correspondra mieux au potentiel ou aux capacités de son enfant. Souvent, le début de la spirale réductrice…
Entre-nous, il faut une sacrée dose de confiance – quasi aveugle – dans un système pour accepter cela. Qui plus est, en sachant pertinemment – parce qu’il ne peut en être autrement – qu’au sortir de sa scolarité obligatoire ou supérieure, les compétences, aptitudes, qualités ou capacités de sa fille ou e son fils dit en difficulté ou en échec ne seront pas appréciées par des employeurs au fait des méthodes d’enseignement ou d’évaluation nouvelles, étant donné qu’ils ne peuvent pas avoir été formé au moyen de méthodes d’apprentissage et d’évaluation actuellement en cours d’introduction.
En l’occurrence, il faut absolument garder à l’esprit dans les recherches faites sur l’introduction des Tic qu’elles n’impactent pas que l’élève et l’enseignant dans l’univers confiné de la classe, mais aussi les parents ! Dans la recherche et le développement des Tic, il faut aussi étudier en parallèle des outils qui permettent aux parents de vérifier, en dehors du temps de classe, que l’enfant n’est pas en train d’accumuler un retard qui poindra le bout de son nez avec le « PA » ou le « NA » au sortir de l’évaluation, à l’évidence trop tard, le parent n’ayant pas eu en mains les moyens de préparer son enfant en vue de l’évaluation, dont « comme au bon vieux temps » seul le résultat compte pour avancer dans le cursus scolaire. Ces outils, et c’est peut-être là que réside toute la difficulté, doivent assurer un pont entre les « évidences d’apprentissage » acquises par les parents au moment de leur propre scolarité et celles qui se dessinent pour demain. D’ici à parvenir à ce but, la dictée n’est de mon point de vue pas un simple mythe auquel il faut s’accrocher : bien comprise, elle reste, certes malheureusement, en ce qui concerne la langue, le seul moyen « universel » (…entendu : connu et maîtrisé de tous) de contrôler qu’un élève arrive à mobiliser et à mettre en cohérence ses acquis en la matière en vue de fournir un produit intelligible par un tiers, cela qu’il ait appris une matière donnée au moyen des méthodes fournies par les Tic …ou sous la férule d’un régent la trique à la main.
Très cordialement,
François