Dans ce livre publié en 1955 qui fit grand bruit alors, réédité en 2011 en France, un médecin japonais, Michihiko Hachiya, raconte les différentes étapes de l’après Hiroshima: les douleurs après l’explosion, l’incompréhension, la sidération, et l’entrée dans l’ère atomique. Plus de cinquante ans après, ce journal garde tout son intérêt sur la manière dont l’événement fut vécu par les habitant.e.s, les équipes médicales sur place et un témoignage également sur la manière dont la capitulation a été vécue.
« Il était tôt. La matinée était calme, chaude et belle. Tandis que je regardais pensivement vers le sud à travers les portes grandes ouvertes de la maison, des feuillages scintillants, reflétant la luminosité d’un ciel sans nuage, formaient un ravissant contraste avec les ombres du jardin.
Vêtu d’un caleçon et d’un maillot de corps, j’étais étendu sur le sol du séjour, épuisé au sortir d’une nuit sans sommeil à l’hôpital, où j’avais été de garde pour parer à l’éventualité d’un raid aérien.
Soudain, un puissant éclair de lumière me fit tressaillir, puis un second. On garde en mémoire de tels détails : je me souviens parfaitement d’une lanterne en pierre qui se mit à scintiller vivement dans le jardin, et je me demandais si cette lumière provenait d’un éclair de magnésium ou des étincelles causées par le passage d’un tramway.
Les ombres du jardin disparurent. Le paysage, si brillant et ensoleillé un instant auparavant, devint sombre et brumeux. Au travers d’une poussière virevoltante, je pouvais à peine distinguer le pilier en bois qui soutenait un angle de ma maison. Il penchait excessivement et le toit vacillait dangereusement.
Instinctivement, je tentai de fuir, mais des gravats et des poutres tombées au sol me barraient le passage. En me faufilant à tâtons, je réussis à atteindre le couloir, puis à sortir dans le jardin. Submergé par un immense sentiment de faiblesse, je m’immobilisai pour regagner mes forces. À ma grande stupeur, je découvris alors que j’étais complètement nu. Chose étrange ! Où étaient passés mon caleçon et mon maillot de corps ?
Que s’était-il passé ?
Tout le flanc droit de mon corps était lacéré et saignait. Un grand éclat de quelque chose saillait d’une plaie ouverte à ma cuisse, et quelque chose de chaud s’écoulait dans ma bouche. En la touchant délicatement, je m’aperçus que ma joue était déchirée et que ma lèvre inférieure pendait, béante. Un gros morceau de verre était fiché dans mon cou ; sans y penser, je l’en délogeai, et, avec le détachement d’un homme sidéré et en état de choc, je l’étudiai ainsi que ma main ensanglantée. »
Ainsi commence le journal du docteur Michihiko Hachiya. Ayant survécu à l’explosion, il se rend immédiatement à l’hôpital, dont il est le directeur. Il découvre une ville dévastée, jonchée de cadavres, d’hommes et de femmes brûlés au dernier degré agonisant lentement au milieu des décombres.
Dans une langue à la fois épurée et précise qui, malgré l’horreur, ne perd rien de son élégance et de sa pudeur, il raconte, jour après jour, les deux mois qui suivirent la catastrophe. Les morts bien sûr, mais aussi l’apparition de ces étranges symptômes que personne ne reconnaît et qui annoncent toujours une fin certaine et douloureuse. Face à la pénurie de nourriture et de matériel médical, à la souffrance des blessés, aux conditions de vie sordides, les médecins, les infirmières et ceux qui en sont capables font tout ce qu’ils peuvent pour soulager les très nombreux blessés et découvrir, avec les moyens du bord, l’origine de ce mal inconnu. Outre cet hommage à la formidable solidarité qui se tisse alors, le récit du docteur Hachiya est un témoignage historique incomparable sur les événements qui suivent l’explosion de la bombe – la capitulation du Japon, l’arrivée de l’armée d’occupation américaine… – et sur la façon dont la population japonaise les perçoit.
Document précieux et authentique, le Journal d’Hiroshima propose une plongée inédite dans l’enfer que fut cette ville martyre.
« Journal d’Hiroshima, 6 Aout – 30 Septembre 1945 » de Michihiko Hachiya, Simon Duran – http://amzn.eu/h4bnzwL
Lire le début du journal : http://www.tallandier.com/pdf/9791021010772.pdf
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