64 historiens et professeurs ont remis le vendredi 16 février au gouvernement et à l’Elysée un rapport sur « la recherche et l’enseignement des génocides et des crimes de masse ». Ils préconisent une « politique de soutien » aux chercheurs et valorisation des recherches comparatives développées en France depuis une vingtaine d’années.
C’est l’aboutissement d’un long travail mené sous la direction de l’historien Vincent Duclert par une cinquantaine de chercheurs. La Mission d’étude sur la recherche et l’enseignement des génocides et des crimes de masse, instituée en 2016, rend ce vendredi 16 février son rapport aux ministres de la recherche et de l’éducation nationale et au président de la République.
Les auteurs y invitent l’État à prendre conscience des avancées de la recherche française. Ils souhaitent la rendre plus visible sur la scène internationale, notamment par la création, en France, d’un Centre international de ressources pour les génocides, les crimes de masse, les violences extrêmes et les esclavages (Cire).
Les recommandations de la mission
- Associer l’étude des génocides, crimes de masse et violences extrêmes à celle des esclavages et des déshumanisations.
- Mettre en réseau les équipes et constituer une tête de pont pour représenter la recherche française à l’étranger.
- Rapprocher les chercheurs en sciences sociales et les enquêteurs judiciaires.
- Soutenir les chercheurs visés par les négationnismes.
- Étendre la politique des archives et la porter au niveau européen et international.
- Effectuer un plan de formation des élus, des fonctionnaires et de certaines professions.
- Instituer une « Semaine de la recherche et de la connaissance des génocides et des violences extrêmes » dans les établissements scolaires.
Source : Des chercheurs français renouvellent l’étude des génocides – La Croix
En prolongement de l’article, le journal La Croix a interrogé Henri Rousso, historien et membre de cette mission d’étude. Henri Rousso est notamment interrogé sur le développement de l’étude comparée des génocides.
La Croix : À quand remonte l’étude comparée des génocides ?
Henry Rousso : Sur le plan international, c’est une pratique déjà ancienne, qui remonte aux années 1980 avec la revue du Centre de recherches de Yan Vashem en Israël, Holocaust and Genocides Studies. Mais si, dans cette période marquée par un renouveau considérable des études sur la Shoah, la démarche comparative s’impose au niveau mondial, elle demeure critiquée en France, où l’on met plutôt en avant l’idée d’un événement incomparable, d’une singularité absolue.
Le changement de perspective a lieu dans les années 1990. Sur le plan historiographique et mémoriel, le risque de minorer l’importance de la Shoah paraît alors moindre et au lieu d’être considérée à part, comme en marge de l’histoire mondiale, elle devient un exemple de crime de masse.
La mission a voulu prolonger cette évolution en dressant un panorama des études développées en France à la fois sur les génocides et crimes contre l’humanité, jugés comme tels par des cours nationales ou internationales, et sur les violences de masses entraînées par la colonisation ou l’esclavage. Nous avons laissé volontairement ce périmètre de recherche indéterminé, ainsi que les questions, d’ordre juridique, de la qualification et de la dénomination de ces différents crimes de masse, qui relèvent d’un débat toujours renouvelé.
De son côté, l’e-mag VousNousIls s’est intéressé au rapport sous l’angle des interrelations entre les apports de la recherche sur l’étude des génocides et l’enseignement en France. A ce titre, l’article met en évidence que, concernant la France,
l’étude des génocides, crimes de masse et violences extrêmes, ainsi que de l’esclavagisme, a fait l’objet d’une “activité croissante, depuis le tournant des années 1990 des chercheurs et des enseignants”. Selon le rapport, les profs “sont aujourd’hui armés pour intervenir sur l’essentiel de ces sujets, à commencer par la Shoah.” L’apprentissage d’autres génocides, tels que celui des Tutsis au Rwanda ou des Arméniens dans l’empire Ottoman, à en outre “réaffirmé l’importance de cet événement matriciel”.
Maus d’Art Spiegelman : la BD pour “enseigner l’indicible » / Journées de l’Histoire et de la Géographie, Amiens, octobre 2016
Toutefois, selon la mission,
les apports de la recherche et de l’enseignement en France souffrent d’une “trop faible interrelation, et parfois d’une insuffisante visibilité tant nationale qu’internationale, même s’ils couvrent des champs de plus en plus vastes”, et cela malgré les engagements des documentalistes, muséographes, responsables mémoriels, artistes, écrivains et créateurs, pour “aborder des objets difficiles et, ensuite pour assumer le pari de la transmission des savoirs.”
Le rapport préconise de « dépasser certains clivages hérités”, comme la “coupure maintenue” entre l’enseignement scolaire et l’enseignement universitaire, entre la recherche et la pédagogie, ou encore entre les missions scientifiques et les fonctions documentaires” » et la création d’un “Centre international de ressources pour les génocides, les crimes de masse, les violences extrêmes et les esclavages”, afin d’approfondir les recherches et de confronter les savoirs, notamment entre historiens sur le plan international.
Pour la Mission, au final,
« l’histoire comparée » permet selon lui d’aborder « d’importantes questions d’histoire contemporaine, comme les idéologies, les régimes politiques ou encore les enjeux stratégiques… Et ainsi de former des citoyens armés pour lutter contre le négationnisme, qui fait un inquiétant retour. »
Source : Un rapport sur la recherche et l’enseignement des génocides et des crimes de masse – VousNousIls
Crédit image : Le cimetière de Potocari en Bosnie-Herzégovine (ex-Yougoslavie) est un lieu en mémoire des victimes du génocide. / Michel Slomka/Hans Lucas
Laisser un commentaire