« On croyait que c’étaient les Germains, en fait ce seraient des germes. Ils auraient eu raison de Rome, de sa puissance et de son Empire. Oubliez donc Alamans, Burgondes, Ostrogoths, Wisigoths et autres Vandales. Remplacez-les par Yersinia pestis, bacille de la peste bubonique, et quelques autres bactéries et virus. Vous comprendrez alors autrement pourquoi, vers 650 de notre ère, un effondrement vertigineux a frappé le plus durable et le plus florissant empire de l’histoire occidentale.((« Comment l’empire romain s’est effondré », de Kyle Harper : la chronique « histoire » de Roger-Pol Droit)) »
Traditionnellement, dans le cadre de l’enseignement de l’histoire et lorsque le thème est abordé, on distingue les causes internes et les causes externes à la Chute de l’Empire romain. La séquence d’enseignement mise sur pied abordera, au mieux, un nombre réduit d’hypothèses.
Dans le monde de la recherche universitaire, la situation est quelque peu autres puisque à la question
Pourquoi l’Empire romain s’est-il effondré après avoir dominé des siècles durant le pourtour méditerranéen ?
plus de deux cents explications ont déjà été recensées en 1984 par l’historien allemand Alexander Demandt qui vont de l’empoisonnement lent de la population par la vaisselle contenant du plomb à l’influence du christianisme ou à l’éloignement des valeurs morales qui fondaient la société romaine ((L’article Déclin de l’Empire romain d’Occident de Wikipedia présente trois principales théories. Pour prolonger, l’article renvoie également à deux synthèses en anglais.
- Fall of Rome – Decline of the Roman Empire [archive] – Répertorie beaucoup de causes possibles avec références.
- « The Plagues That Might Have Brought Down the Roman Empire » [archive], The Atlantic, 16 mars 2016)).
Est-ce un effet du temps ? Roger-Pol Droit nous rappelle à quel point les questions ou problématiques historiques s’inscrivent dans l’actualité du temps des historiens et de leurs travaux :
« Il convient aussi de remarquer combien le genre « chute de l’Empire », abondamment illustré depuis le siècle des Lumières et l’ouvrage classique d’Edward Gibbon, Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain (1776-1788), est constamment coloré par le présent. Gibbon insiste sur la faillite morale et politique des élites et de la culture romaines. Les historiens du XIXe siècle mettent l’accent sur les invasions barbares et leurs désastres. Les travaux du XXe siècle privilégient les facteurs économiques et sociaux. On ne s’étonnera donc pas de voir aujourd’hui émerger un scénario de la mort de Rome sous l’effet du changement climatique et des épidémies, deux de nos hantises. »
Toujours est-il de l’historien états-uniens Kyle Harper renouvelle la question et intègre dans son modèle des données originales comme le climat et, plus généralement, les éléments naturels. En croisant les travaux de plusieurs disciplines, il avance que le déclin de l’empire est indissociable du développement des maladies infectieuses.

S’il n’est pas le premier à le faire au travers de l’étude du climat, Kyle Harper dispose de données nouvelles qui ont été collectées depuis une vingtaine d’années. Dans sa préface, Benoît Rossignol les énumère tels l’étude des carottes glaciaires, celle des cernes des arbres, des pollens, l’essor de l’anthropologie physique (dont l’étude des populations dans les sépultures), le séquençage de l’ADN ou la multiplication des trouvailles archéologiques. La préface illustre d’ailleurs la nécessité de travailler en équipe pluridisciplinaire pour renouveler une telle historiographie :
« les équipes d’archéologues qui fouillent minutieusement les sépultures, les historiens en quête de sources écrites pour reconstituer un contexte historique, les anthropologues analysant les ossements, les généticiens dans leur salle blanche puis face à leur séquenceur en quête de fragments anciens d’ADN, les biologistes et les épidémiologistes cherchant à reconstruire l’histoire de l’évolution du virus ou de la bactérie »
et déboucher sur une vision nouvelle de la fin de l’Empire romain. Jusqu’à la prochaine ?
La présentation de l’ouvrage par son éditeur :
Comment Rome est-elle passée d’un million d’habitants à 20 000 (à peine de quoi remplir un angle du Colisée) ? Que s’est-il passé quand 350 000 habitants sur 500 000 sont morts de la peste bubonique à Constantinople ?
On ne peut plus désormais raconter l’histoire de la chute de Rome en faisant comme si l’environnement (climat, bacilles mortels) était resté stable. L’Empire tardif a été le moment d’un changement décisif : la fin de l’Optimum climatique romain qui, plus humide, avait été une bénédiction pour toute la région méditerranéenne. Les changements climatiques ont favorisé l’évolution des germes, comme Yersinia pestis, le bacille de la peste bubonique. Mais « les Romains ont été aussi les complices de la mise en place d’une écologie des maladies qui ont assuré leur perte ». Les bains publics étaient des bouillons de culture ; les égouts stagnaient sous les villes ; les greniers à blé étaient une bénédiction pour les rats ; les routes commerciales qui reliaient tout l’Empire ont permis la propagation des épidémies de la mer Caspienne au mur d’Hadrien avec une efficacité jusque-là inconnue. Le temps des pandémies était arrivé.
Face à ces catastrophes, les habitants de l’Empire ont cru la fin du monde arrivée. Les religions eschatologiques, le christianisme, puis l’islam, ont alors triomphé des religions païennes.
La référence : Comment l’empire romain s’est effondré. Le climat, les maladies et la chute de Rome (The Fate of Rome. Climate, Disease, & the End of an Empire), de Kyle Harper, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Philippe Pignarre, La Découverte, 544 p., 25 € (en librairie le 10 janvier).
Laisser un commentaire