Milligan, I. (2022). The Transformation of Historical Research in the Digital Age (Elements in Historical Theory and Practice). Cambridge: Cambridge University Press. doi:10.1017/9781009026055

Je découvre à l’instant la publication toute récente de l’ouvrage de Milligan. Cet ouvrage est disponible en ligne et peut même être téléchargé au format .pdf. Je vous propose avec ce billet un compte-rendu des éléments principaux résultant de ma lecture (fort) rapide de cet ouvrage (les citations ont été traduites via Deepl).
Résumé de l’ouvrage (traduit)
Les historiens font des recherches sur Google, ProQuest et HathiTrust. Ils obtiennent des informations à partir de recherches par mots-clés, effectuées sur des millions de documents, leurs recherches étant façonnées par des algorithmes qu’ils comprennent rarement. Les historiens visitent ensuite souvent les archives lors de voyages éclair marqués par des milliers de photographies numériques, qu’ils explorent ensuite sur des écrans d’ordinateur dans le confort de leur bureau. Ils peuvent ensuite se lancer dans les médias sociaux ou d’autres plateformes numériques, leur travail étant façonné par ces nouvelles formes de révision avant et après publication. Presque tous les aspects du flux de recherche de l’historien ont été transformés par la technologie numérique. En d’autres termes, tous les historiens – et pas seulement les historiens numériques – sont concernés par cette évolution. The Transformation of Historical Research in the Digital Age donne aux historiens les moyens de devenir des praticiens conscients d’eux-mêmes en rendant ces changements explicites et en explorant leur impact à long terme. Ce titre est également disponible en libre accès sur Cambridge Core.
Éléments de l’introduction
Milligan ne manque pas de décrire les changements intervenus dans l’utilisation des archives par les historiens et les possibilités pour ce dernier d’effectuer ses lectures et ses analyses directement depuis la maison. Les sources d’informations historiques se sont multipliées, notamment concernant les journaux, les périodiques et les revues. Les historiens explorent désormais de vaste depôts d’informations comme JSTOR, ProQuest ou HathiTrust. Ceci n’est pas sans incidence sur le métier d’historien lui-même et le risque d’homogénéisation n’est pas loin:
Ils utilisent des mots-clés plutôt que des index spécialisés. Là encore, les historiens se retrouvent à consulter ce qui est numérisé plutôt que ce qui pourrait être le plus pertinent. Ce n’est pas par paresse, mais plutôt en raison de la diminution du rendement de la consultation d’un journal qui n’est pas numérisé alors qu’un périodique à peu près équivalent pourrait l’être. La décision d’explorer le Toronto Star plutôt que le Toronto Telegraph peut sembler anodine, mais si chaque historien prend la même décision, cela représente un changement radical. Ces milliers de décisions individuelles signifient qu’avec le temps, l’érudition commence à s’homogénéiser en termes de ce que nous citons. Si ces forces sont plus prononcées pour les historiens qui s’appuient sur des documents dactylographiés – ceux qui se prêtent le mieux aux algorithmes de reconnaissance optique des caractères – les progrès récents en matière de reconnaissance des textes manuscrits laissent présager une expansion continue de l’impact de la technologie.
Ces changements se sont encore accélérés avec la longue pandémique du covid-19 en raison des restrictions dans les déplacements ou les accès physiques aux archives et bibliothèques.
Comme pour tout, le COVID a accéléré les tendances sans les inventer : il a souligné à quel point la recherche historique est désormais médiatisée par le numérique. Les historiens ont pu tirer parti de processus qui se déroulaient depuis des décennies.
Pour Milligan, cette transformation qui s’est déroulée en l’espace de deux décennies, nécessite de comprendre
comment le travail historique a été transformé, car les historiens ont tendance à négliger les discussions méthodologiques.
L’ouvrage se propose d’explorer ces transformations pour apprendre de quelle manière nous pouvons devenir de meilleurs chercheurs en rendant le numérique explicite.
Un premier avis de l’auteur
Dans son introduction, Milligan estime que cette transformation digitale implique une transformation de la profession d’historien de quatre manière principale (développées en conclusion de son ouvrage) :
Il s’agit de reconnaître l’importance de la culture numérique, de valoriser l’interdisciplinarité, de donner la priorité aux discussions méthodologiques et de changer la façon dont nous formons les futurs historiens pour qu’ils intègrent les technologies nouvelles et émergentes.
Organisation de l’ouvrage
Avant une substantielle conclusion, l’ouvrage comporte trois parties
- « Bibliothèques et bases de données« , explore comment la numérisation agressive, en particulier des journaux et des ressources microfilmées, a créé des bases de données exploratoires massives. Qu’est-ce qui a été numérisé et ce qui ne l’a pas été. Comment quelque chose a-t-il été numérisé ? Quels sont les impacts du droit d’auteur sur ces dépôts ?
- « Archives et accès« , explore la façon dont la technologie a changé la relation entre l’historien, l’archiviste et les archives. Quel a été l’impact de la numérisation partielle des collections ? Les instruments de recherche en ligne ? La photographie numérique ?
- « La publication à une époque interdisciplinaire : Du journal aux médias sociaux« , explore l’évolution de la relation entre les historiens et leur public. Lorsque les historiens pensent à l' »histoire numérique », beaucoup pensent à l’histoire publique numérique, grâce à la longue tradition d’engagement de la profession historique envers le public. Pourtant, la progression traditionnelle de la carrière contraint les chercheurs à s’orienter vers les marqueurs traditionnels de la réussite professionnelle, incarnés par certains types de publications (en particulier les livres traditionnels). Comment la technologie a-t-elle changé l’édition ? Cette partie explore brièvement les nouveaux formats, les approches changeantes de la circulation des idées et le potentiel d’engagement interdisciplinaire.
Histoire numérique vs histoire numérisée
Milligan établit une distinction entre l’histoire numérique (Digital History) le domaine d’étude délimité par des revues universitaires, des conférences et des approches pédagogiques – et l' »histoire numérisée », ou la transformation plus large induite par la technologie.
Si tous les historiens ne sont pas des historiens numériques (Digital Historians), tous sont engagés dans des sources et des flux de travail numérisés. Pour Milligan,
Il n’est pas judicieux de cloisonner l’engagement historique avec la technologie en tant que sous-domaine, étant donné son impact considérable sur l’ensemble de la profession. […]. Nous sommes tous numériques maintenant.
Dans tous les cas, Milligan plaide pour un historien sensibilisé au numérique qui tient compte de l’influence médiatrice de la technologie sur son travail. Ce chercheur comprend que la façon dont les sources sont médiatisées a un impact profond sur la façon dont elles sont lues, comprises et contextualisées. En bref, il s’agit d’un historien conscient du numérique, qui utilise activement la technologie plutôt que d’être façonné par elle.
Culture numérique
Dans sa conclusion, Milligan revient sur la question de la nécessaire prise en compte de la culture numérique.
Pour lui, cela implique que les méthodes historiques seront explicitées plutôt que laissées implicites.
Il propose que ce phénomène s’étende à la salle de classe, les enseignant•es d’histoire encourageant leurs étudiant•es et leurs élèves à réfléchir de manière critique à la médiation et à la sélection de leurs sources (et à l’exemple des textes qu’ils lisent). Il s’agit de contribuer à faire de nos étudiant•es et nos élèves des consommateurs d’informations plus critiques et plus conscients.
Par ailleurs, pour Milligan, tous les étudiant•es doivent être sensibilisés aux préjugés algorithmiques, comprendre comment le contenu est médiatisé et contextualisé, et acquérir des compétences numériques plus larges.
Cela s’inscrit dans une perspective citoyenne, car
Réfléchir au contexte et à la médiation d’un article de journal vieux de plusieurs dizaines d’années développe des compétences permettant d’évaluer la fiabilité d’un tweet ou d’un article de journal apparaissant sur Twitter ou TikTok. En définitive, il s’agit peut-être moins de faire de « bons » historiens que de faire de nous tous de meilleurs consommateurs d’informations.
Il précise en outre que
Nous nous appuyons beaucoup et implicitement sur l’idée d’un « natif numérique », ce qui ne tient pas compte de l’inégalité des compétences techniques des étudiant•es. Nous devons tous nous engager dans ces problèmes interdisciplinaires qui transforment notre monde.
On conçoit aisément que ces questions intéressent l’enseignement de l’histoire en général et pas seulement les chercheurs en histoire.
[1] https://www.cambridge.org/core/elements/transformation-of-historical-research-in-the-digital-age/30DFBEAA3B753370946B7A98045CFEF4
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