Juste avant le début officiel des commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale, le Prix Goncourt décerne son prix à un roman ayant la Première Guerre mondiale comme toile de fond tout comme elle le fit en 1916 lorsqu’elle décerna son prix, reporté pour cause du déclenchement des hostilités, 1914.
En 1916, Adrien Bertrand recevait le prix Goncourt 1914 ((en raison du déclenchement des hostilités, le Prix Goncourt fut reporté en 1916)) pour son roman L’Appel du sol, publié en 1914 et dans lequel on suit les étapes significatives de la vie d’un bataillon français de chasseurs alpins et en 1916 toujours, quelques jours après sa parution chez Flammarion, Le Feu (sous-titré Journal d’une escouade) d’Henri Barbusse recevait le Prix Goncourt.
Le roman et le parcours d’Adrien Bertrand ne manquent pas de singularité. Sa biographie ((http://fr.wikipedia.org/wiki/Adrien_Bertrand)) nous apprend qu’Adrien Bertrand
«Après des études à l’École alsacienne, Adrien Bertrand commença sa carrière en tant que journaliste pour plusieurs journaux d’actualité et littéraires où il exposa ses idées socialistes et diffusa ses poèmes surréalistes. […]. Blessé en 1914, il meurt des suites de cette blessure en 1917. Il est inhumé dans le caveau familial à Nyons où une rue porte désormais son nom.»
Sur son blog, Federico Trabaldo nous indique que pacifiste Bertrand ne put résister à l’appel du sol, du sol de sa patrie, et partit au front, âgé d’à peine 25 ans ((Un jour, un Goncourt : L’appel du sol, Adrien Bertrand)). Son parcours est semblable à celui d’Henri Barbusse ((http://fr.wikipedia.org/wiki/Henri_Barbusse)) qui, en 1914, âgé de 41 ans et malgré des problèmes pulmonaires, s’engage volontairement dans l’infanterie malgré ses positions pacifiques d’avant-guerre. Le Feu, prix Goncourt 1916, est le récit de son expérience sur la Première Guerre mondiale. Son réalisme souleva les protestations du public de l’arrière autant que l’enthousiasme de ses camarades de combat.
Dans «l’Appel du sol» de Bertrand, on suit les étapes significatives de la vie d’un bataillon français de chasseurs alpins et les doutes perpétuels des hommes : « Que faisons-nous là ? ». Au fil des pages, Adrien Bertrand fait comprendre à son lecteur «que le bataillon sera détruit pendant l’assaut final, que ses chefs seront tués ; les héros de cette troupe en sont d’ailleurs conscients : c’est leur destin de périr sur ce champ, dans cette tranchée, par amour de leur pays» ((Un jour, un Goncourt : L’appel du sol, Adrien Bertrand)).
Pour le lecteur d’aujourd’hui, «l’Appel du sol» et «Le Feu» illustrent parfaitement le patriotisme relatif à l’époque de la Première Guerre mondiale. L’attribution du Prix Goncourt en témoigne comme probablement le parcours de leurs deux auteurs, pacifistes avant la guerre et engagés volontaires au moment du déclenchement de celle-ci. Par ailleurs, après la guerre, Henri Barbusse fut l’instigateur en 1932, avec Romain Rolland, du mouvement pacifiste Amsterdam-Pleyel ((http://fr.wikipedia.org/wiki/Mouvement_Amsterdam-Pleyel)). Là aussi, la trajectoire d’Henri Barbusse est comparable à celle de nombreux anciens combattants.
En 2013, trois jours avant le début officiel en France des commémorations par François Hollande ((14-18: un Centenaire très populaire | Libération)) du centenaire de la Première Guerre mondiale, Pierre Lemaitre se voit attribuer le Prix Goncourt pour son roman Au revoir là-haut et apparaît déjà comme un premier hommage au centenaire. En effet, ce roman s’articule autour du destin de deux rescapés démobilisés de la Première Guerre mondiale.
Albin Michel ((http://www.albin-michel.fr/Au-revoir-la-haut-EAN=9782226249678)) nous présente ce roman de la manière suivante :
«Sur les ruines du plus grand carnage du XXe siècle, deux rescapés des tranchées, passablement abîmés, prennent leur revanche en réalisant une escroquerie aussi spectaculaire qu’amorale. Des sentiers de la gloire à la subversion de la patrie victorieuse, ils vont découvrir que la France ne plaisante pas avec ses morts…
Fresque d’une rare cruauté, remarquable par son architecture et sa puissance d’évocation, Au revoir là-haut est le grand roman de l’après-guerre de 14, de l’illusion de l’armistice, de l’État qui glorifie ses disparus et se débarrasse de vivants trop encombrants, de l’abomination érigée en vertu.
Dans l’atmosphère crépusculaire des lendemains qui déchantent, peuplée de misérables pantins et de lâches reçus en héros, Pierre Lemaitre compose la grande tragédie de cette génération perdue avec un talent et une maîtrise impressionnants.»
Mais aujourd’hui comme hier, le roman de Lemaître illustre avant tout l’air et les préoccupations du temps de sa rédaction ((Goncourt : l’art français du roman de guerre | Huffington Post)) :
«Si j’ai choisi cette après-guerre, c’est parce que j’étais frappé par la similitude entre cette période et la nôtre. Il y a quelque chose d’assez commun et d’assez troublant.»
«Dans les années 1920, pendant le retour des vétérans, la France n’est pas en mesure de les intégrer. Aujourd’hui, il y a toute une population qui se trouve en risque de précarité, menacée d’exclusion. Ce sont ces gens qui deviennent les nouveaux pauvres de l’époque.»
Si avant 2008 et la mort des derniers poilus, les travaux historiques s’inscrivaient dans une perspective comparatiste ((Corinne François-Denève, « 1914-1920 : Retrouver la guerre ? », Acta fabula, vol. 7, n° 5, Octobre 2006, URL : http://www.fabula.org/revue/document1660.php.)), les romans de 2013 consacrés à la Première Guerre mondiale s’inscrivent plutôt dans un égotisme propre à notre époque.
S’il veut faire saisir l’air de 1914, l’enseignant ferait mieux de se reporter aux romans d’Adrien Bertrand et d’Henri Barbusse ainsi qu’à la littérature de témoignages, produite par les poilus. Par contre, s’il veut saisir la configuration mémorielle du centenaire, il est probable que les romans et publications de 2013 soient un guide intéressant.