Dans le cadre de son jubilé du 250e anniversaire, le journal lausannois 24 Heures offre en 2012 tous les jours une page d’histoire de la vie des Vaudois. Dans son édition du jour, nous en sommes à 1919 et à la grippe espagnole.
On y apprend que, comme les autres nations, la Suisse a été frappée par deux vagues entre juillet 1918 et juin 1919. Deux millions de personnes furent infectées, provoquant 24 449 décès (contre moins de 1000 pour les épidémies saisonnières «normales»). Soit 0,62% de la population suisse de 1918, ce qui est considéré comme la pire catastrophe démographique du siècle.
Mais surtout que les journaux de l’époque jetèrent la pierre aux «bolcheviks» et les désignèrent comme les principaux responsables de l’épidémie :
En Suisse, l’épidémie de grippe éclate alors que le pays est en proie à une extrême tension sociale, qui culmine avec la grève générale de novembre 1918. Pour maintenir l’ordre, le Conseil fédéral mobilise la troupe. Le virus trouve un terrain idéal dans des cantonnements aux conditions sanitaires déplorables.
Les journaux s’en prennent aux syndicats, accusés d’être responsables de l’appel sous les drapeaux de soldats qui tombent comme des mouches.
«MM. les bolcheviks, qui ne reculeront devant aucun moyen, savaient pertinemment qu’une mobilisation rapide de l’armée servirait leur cause», lit-on dans la Gazette de Lausanne du 27 novembre 1918. Le Conseil fédéral, lui, estime alors que «le soldat mort de la grippe doit être assimilé au soldat succombant sous le feu de l’ennemi».
L’anticommunisme (et au-delà) en Suisse allait avoir de beaux jours devant lui. En effet, présentée comme une tentative révolutionnaire, la grève générale servit pendant plusieurs décennies à dénigrer la gauche. C’est seulement après le jubilé de 1968 que le public prit connaissance des études historiques qui, entamées dès les années 1950, disculpaient largement ses dirigeants.
Cependant, la grève générale eut des conséquences très diverses, allant des mesures de répression à l’adoption de réformes. Pour une partie de la classe ouvrière, les conditions de travail se détériorèrent. En même temps, les salariés obtiennent une réduction massive du temps de travail en 1919 déjà (semaine de 48 heures). La justice militaire mit en accusation plus de 3500 personnes dont 147 furent condamnées.
On considère également qu’elle joua un rôle dans l’élaboration de la «Paix du travail» ou la création de l’AVS.
L’expérience de la grève générale compta pour beaucoup dans la mise en place, dès le début de la Deuxième Guerre mondiale, d’une collaboration des associations ouvrières à l’organisation de l’économie de guerre et dans la priorité accordée aux questions de distribution des ressources. Elle fut aussi à la base des conventions collectives conclues déjà avant la fin de la guerre et du tournant pris à la même époque dans la politique sociale avec la création de l’AVS.
Article du Dictionnaire Historique Suisse (DHS) sur la grève générale
Sur la grève générale de 1918 : http://www.hls-dhs-dss.ch/textes/f/F16533.php
Sur l’anticommunisme en Suisse : http://www.hls-dhs-dss.ch/textes/f/F27836.php
Sur la Paix du travail : http://www.hls-dhs-dss.ch/textes/f/F16535.php