
Jacques Martin au Théâtre de l’Empire, le 21 décembre 1998 (AFP)
Dans le dédale des hommages funéraires consacrés à Jacques Martin, je ne pensais guère y trouver mon compte au-delà d’une certains nostalgie relativement à la TV de mon début d’adolescence. Jusqu’à la lecture du journal «24Heures» de ce samedi:
1975, en plein règne giscardien, Jacques Martin déboule sur les écrans aux côtés d’une joyeuse bande de farfelus. Leurs noms: Stéphane Collaro, Piem, Pierre Desproges ou encore Daniel Prévost. Leur hymne: La pêche aux moules, une scie inénarrable troussée par l’animateur lui-même.
«C’est le journal le plus amusant de France, mais je déconseille à mes ministres d’y participer», commente alors Giscard. Chaque dimanche, après la messe, la France se plie en deux. […]
L’esprit satirique de cette parodie de journal télévisé n’est cependant pas du goût de tout le monde. En 1976, la fine équipe s’exile sur Antenne 2 (aujourd’hui France 2) pour y observer l’actualité par le petit bout de La lorgnette. Le bail durera vingt ans. Le temps pour Jacques Martin de squatter la quasi-totalité des programmes dominicaux.
Désormais moins soucieux de faire rire aux dépens de ses contemporains, l’animateur «le plus populaire de France» décide de se consacrer à un public plus familial.
Ainsi fait, cet article permet de replacer le parcours télévisuel de l’animateur dans la perspective plus large de la présidence de Valéry Giscard d’Estaing. En effet, l’aventure de cet animateur n’aurait pas été possible dans la télé quasi-stalinienne des années de Gaulle, puis Pompidou, crispée par le choc de l’année 1968 et engoncée dans son formol.
Cette trajectoire télévisuelle nous offre une parabole du septennat giscardien. Petit retour en arrière.

Avec sa candidature, Giscard d’Estaing se positionne comme le candidat du renouveau, jeune, dynamique, désireux de réformer la France en profondeur. Une fois élu, il se propose de tourner la page du gaullisme pour engager la France dans le moule libéral. Seulement voilà, cette nouvelle société giscardienne se prend rapidement les pieds dans le tapis de la crise du système fordiste, accélérée par la crise pétrolière de 1973. Et, après deux ans d’une volonté de modernisation de la société (abaissement de la majorité à l’âge de 18 ans, loi sur l’interruption volontaire de grossesse, divorce par consentement mutuel, création d’un secrétariat d’État à la condition féminine), la deuxième partie du septennat giscardien change drastiquement de cap pour privilégier une logique gestionnaire et conservatrice sur fond de la montée d’un chômage de masse.

Jaquette du DVD de la Paramount – Le Petit Rapporteur (2006)
Le ton décapant du Petit rapporteur transpose donc sur le petit écran cet élan modernisateur. Les chroniques villageoises de Pierre Bonte remplacent la mère Denis, sans moderniser autrement que par leur ton le monde rural français. Ces chroniques illustrent ainsi l’ambiguïté de cet élan modernisateur tant télévisuel que politique du septennat.

Source : inconnue (image reprise de http://www.kitof.net/images/jacquesmartin.jpg)
Et deux après déjà comme le président, l’animateur Jacques Martin se voit contraint d’effectuer progressivement un virage sur l’aile. D’abord en quittant la première chaîne pour atterrir sur Antenne 2, puis en édulcorant de plus en plus ses émissions. Jacques Martin ne retrouvera son ton caustique qu’à la fin des années 1990, juste avant son éviction du petit écran à la suite de son accident cérébral.

Portrait officiel du président Valéry Giscard d’Estaing
Pour Valéry Giscard d’Estaing, les choses n’iront pas aussi bien que pour Jacques Martin et les ennuis ne cessent de s’accumuler à partir de 1978. Ainsi, lors des élections législatives de 1978, la droite l’emporte mais le RPR de Jacques Chirac remporte 154 sièges tandis que son parti, l’UDF, seulement 124. Jacques Chirac affiche son hostilité envers l’UDF qui est pour lui «le parti de l’étranger», car trop tourné vers l’Europe et non vers la Nation. Puis la crise en France est de plus en plus grave. Peu à peu, la personnalité même de Giscard est contestée : ses repas avec le Français moyen finissent par agacer ou susciter des moqueries. Enfin c’est le scandale des diamants de Bokassa qui précipitera sa déchéance.
A lire:
S. Berstein et JF Sirinelli (sous la direction de) (2007). Les années Giscard. Les réformes de société (1974-1981) ; Paris: Armand Colin. Voir le compte-rendu des Clionautes.
R. Boyer, J.P. Durand (1993). L’Après fordisme. Paris: Editions Syros. Nlle édition 1998.
Multitudes : La crise du rapport salarial fordiste : une interprétation
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