Source : Le Monde.fr : il était une fois la Grèce (compte-rendu de Pierre Vidal-Naquet)
LE MONDE DES LIVRES | 30.03.06 | 17h01 • Mis à jour le 30.03.06 | 17h01
Que nous apporte ce livre qui succède à de savants recueils d’inscriptions grecques et latines, et aussi à de nombreux ouvrages sur l’histoire de l’Orient antique ? La structure est tout à fait originale. Quarante-trois chapitres qui partent tous d’un document : inscription, papyrus, monnaie, fragment archéologique, texte d’un historien grec, « éclats dispersés dans le temps et dans l’espace », avec une préface et une postface. L’Orient est certes abondamment présent, mais Athènes n’est pas absente. Les contacts avec d’autres cultures, par exemple la civilisation égyptienne ou la sagesse juive, font l’objet de toute l’attention de l’auteur. Certaines rencontres, certes connues des spécialistes, étonneront le grand public.
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Sait-on par exemple que des inscriptions grecques, émanant de mercenaires, ont été gravées au début du VIe siècle avant notre ère sur la jambe gauche de la statue colossale de Ramsès II à Abou Simbel ? Ou, mieux, imagine-t-on que deux rabbins, cités par la Mishna, et qui vivaient au IIe ou au IIIe siècle de l’ère chrétienne, discutaient pour savoir dans quelle mesure il était légitime d’uriner dans des thermes placés sous le signe d’Aphrodite – la déesse grecque était-elle un signe de paganisme ou un simple nom de lieu ? Sartre nous le rappelle : une jeune juive, dont les archives, datant du IIe siècle, ont été retrouvées sur les bords de la mer Morte, a fait inscrire dans son contrat de mariage que son époux s’engageait « à la nourrir et à la vêtir, elle et ses enfants à venir, en accord avec les habitudes grecques et les manières grecques au péril de tous ses biens ». Comme le dit Sartre, « on imagine le chemin parcouru depuis l’époque où le second livre des Macchabées dénonçait la création d’un gymnase à Jérusalem ».
DE THÉSÉE À HYPATIE
Quarante-trois documents : on commence par le récit, parfaitement imaginaire, dû à Plutarque, de l’unification d’Athènes par les soins de Thésée, on termine par le récit, dû à l’historien byzantin Socrate Scolasticus, de la mort d’Hypatie, philosophe néoplatonicienne qui fut assassinée par des chrétiens, à Alexandrie, en 415 de notre ère. Entre les deux, de quoi méditer sur tel ou tel aspect de la culture grecque, sur la place des jeunes, par exemple, ou celle des femmes. L’Hippolyte d’Euripide (428 av. J.-C.) voudrait, par exemple, qu’on puisse faire des enfants sans avoir recours à une femme, malédiction qu’il paiera de sa vie. Mais les choses changent avec l’époque hellénistico-romaine. Au IIe siècle avant notre ère, à Kymè, en Eolide (sur la côte sud de l’Asie mineure), non loin de Phocée, les magistrats sont priés d’offrir un sacrifice aux dieux pour que guérisse leur bienfaitrice, une certaine Archippè.
[…]
De proche en proche, c’est toute la civilisation grecque qui jaillit des textes et des documents rassemblés par Maurice Sartre.
HISTOIRES GRECQUES de Maurice Sartre. Seuil, « L’Univers historique », 464 p., 24 €.
Pierre Vidal-Naquet
Article paru dans l’édition du 31.03.06
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