Hier soir, c’était l’heure du cortège aux flambeaux à La Tour-de-Peilz. Soudain, la question posée à l’historien: que s’est-il passé le 1er août 1291? que fête-t-on? Question éminement piège entre la mythologie politique et la réalité historique. D’autant que le journal Le Temps du 31.07.2008 se fait l’écho des thèses de l’historien médiéviste Roger Sablonier qui révise l’histoire des trois cantons fondateurs —mais de quoi en 1291?— jusqu’à affirmer que la Suisse primitive comme berceau de la Confédération n’a pas existé. Et qui nous pose la question: et si le Pacte de 1291 était un faux? Cette question fait l’objet du premier volet de ma série de l’été consacrée à l’Histoire suisse.
Bon les historiens savaient déjà depuis longtemps que le Pacte de 1291 n’avait rien d’extraordinaire ou d’exceptionnel. D’abord, il avait été retrouvé par hasard en 1724 après avoir été cité une première fois vers 1530 soit près de 150 ans après les faits. Ensuite, les Waldstaetten n’avaient pas été les seuls à produire ce type de document à la mort de Rodolphe de Habsbourg et c’était une pratique courante à la mort de l’Empereur. Enfin, les soucis exprimés par ces communautés portaient plus sur la sécurité économique de la voie commerciale du Gothard que sur la sécurité extérieure et il ne parle ni de liberté, ni de résistance.
Bon depuis le temps aussi, tout le monde devrait savoir que les histoires de Guillaume Tell et du serment du Grütli ne sont que des mythes et n’ont aucune réalité historique. De même que la fête nationale et le choix du premier août datent de 1891.
Bon mais tout ceci n’a pas beaucoup fait évolué la connaissance du grand public et du monde politique. D’autant que comme le disait Hans Ulrich Jost, mon estimé professeur d’université, l’histoire suisse et son historiographie** ont toujours été sous l’influence du politique:
« L’impact du discours politique sur l’historiographie suisse ne date pas seulement des temps modernes, […]. En effet, l’identité nationale de la Suisse moderne [qui naît en 1848] est en premier lieu de caractère politique. Face aux Etats nationaux exprimant leur identité par un concept culturel qui relève de la langue, d’un espace géo-culturel et même de la race, l’Etat fédéral du XIXe siècle s’est vu contraint de fonder l’esprit national sur le discours politique. La nation suisse, manquant d’un concept culturel cohérent, se réfère à la volonté politique. A l’histoire donc de trouver des valeurs traditionnelles, voire mythiques, conformes au discours politique. A partir de cette conjonction, l’historiographie est devenue davantage le corollaire du développement politique. »
Jost H. U. (2005). «L’historiographie contemporaine suisse sous l’emprise de la Défense spirituelle». In A tire d’ailes. Contributions de Hans Ulrich Jost à une histoire critique de la Suisse. Lausanne Antipodes, p. 174
Mise en place par des historiens radicaux dès le XIXe siècle (Dierauer et Dändliker), cette histoire politique est reprise par les historiens des années 1930 et vulgarisée par ceux des années 1950 et 1960 qui accentuent les légendes de la création de la Confédération « afin de mieux s’inscrire dans l’idée de la Défense spirituelle ». [idem, p. 175]
La remise en cause de cette hagiographie historique (l’hagiographie étant l’histoire d’un-e saint-e, faite pour permettre sa canonisation en regroupant notamment les miracles fait-e-s par lui) date de l’après-guerre, mais sera en premier lieu l’oeuvre d’écrivains suisses, avec en tête de liste Max Frisch et Friedrich Dürrenmatt. Pour le grand public, il faudra attendre la publication de la Nouvelle Histoire de la Suisse et des Suisses en 1982 pour que soit portée à sa connaissance les changements apportés l’histoire de cette période par les travaux universitaires de nos historiens.
Mais personne jusqu’à présent ne s’était intéressé à l’authenticité des documents phares de cette Suisse primitive. Or, comme le relate le journal Le Temps dans son édition du 31 juillet sous la plume de l’excellente Catherine Cossy, un nouveau livre de l’historien Roger Sablonier (Professeur d’histoire à l’université de Zurich de 1979 à 2006), publié en Suisse alémanique, non seulement fait des fiers Waldstätten épris de liberté des ancêtres imaginaires, mais conteste l’authenticité de deux documents principaux : le Pacte de 1291 et le Pacte de Brunnen de 1315:
«Maintenant que l’on a une autre manière d’aborder les sources écrites, que l’on accepte qu’elles ont avant tout un caractère symbolique, car rédigées après coup pour justifier des rapports de pouvoir, c’était le moment de présenter une synthèse sur cette époque.»
Ainsi, une analyse au carbone 14 d’un minuscule fragment du Pacte de 1291 réalisée par l’Institut de physique des particules de l’EPFZ révélerait que celui-ci pourrait avoir été rédigé en 1309. De même;
«La Charte de Brunnen, qui renouvelait l’alliance des Confédérés après la bataille de Morgarten en 1315, et dont on n’a jamais douté de la date originale jusqu’à maintenant, est écrite sur un parchemin datant au minimum de la fin du XIXe siècle. Comme certains privilèges impériaux, conservés précieusement aux côtés du Pacte fédéral dans le musée de Schwyz, ces textes ont été généralement écrits ou recopiés et arrangés après coup par ceux qui détenaient le pouvoir pour justifier de leurs prétentions.» (Le Temps)
Comme l’indique l’historien Jean-Daniel Morerod, professeur à l’Université de Neuchâtel, interrogé par Le Temps:
Alors que le caractère particulier de la Suisse se trouve aujourd’hui confirmé par son refus d’entrer dans l’Europe, c’est précisément à ce moment-là que la légitimité du Sonderfall disparaîtrait. Cela a des conséquences pour le pays: le cas particulier que nous vivons aujourd’hui est moins séduisant. On perd la caution des ancêtres. C’est une perte au niveau symbolique. On atteint à l’idée mythique d’une continuité dans l’esprit de résistance et de liberté.
L’occasion aussi pour la Suisse de faire véritablement un travail d’histoire dont une des premières conséquences pourrait être de réévaluer son rapport et la place accordée à l’étranger dans sa construction. Ceci fera l’objet du deuxième épisode de notre série de l’été:
Sans la France, la Suisse aurait-elle pu voir le jour?
Que cela ne vous empêche pas, si le temps vous le permet, de participer ce soir aux festivités du premier août dans votre région…
Notes:
* Pour les personnes intéressées, la lecture du livre de Jean-François Bergier (1988) Guillaume Tell. Paris: Fayard apportera tous les éclairages voulus non seulement sur le mythe de Guillaume Tell, mais sur la soi-disant Naissance de la Confédération en 1291.
** L’historiographie désigne l’histoire de l’écriture de l’histoire. Érigée en spécialité de la discipline historique, l’historiographie présente généralement le regard d’un historien sur ses prédécesseurs et sur leur travail.
Légende et source de l’illustration: La mère patrie Helvétie danse avec ses filles, les cantons, sur la prairie du Grütli. Cette carte postale datée de 1900 et déposée aux archives du canton de Schwyz fait partie de cette iconographie qui exalte le mythe fondateur du Grütli. Comme il se doit, Uri, Schwyz et Unterwald sont au centre . (photo: Hier & JetztVerlag für Kultur und Geschichte)
Ouvrage: Roger Sablonier (2008) Gründungszeit ohne Eidgenossen. Zurich: Verlag hier+ jetzt. Voir aussi Swissinfo: http://www.swissinfo.ch/fre/swissinfo.html?siteSect=43&sid=9404117
« D’autant que comme le disait Hans Ulrich Jost, mon estimé professeur d’université, l’histoire suisse et son historiographie** ont toujours été sous l’influence du politique: »
Heureux d’apprendre que ni Jost ni vous-même n’êtes sous influence idéologique ou politique, c’est rassurant…mais j’ai un doute.
Jost H. U. (2005). «L’historiographie contemporaine suisse sous l’emprise de la Défense spirituelle».
C’était pourtant beau la « Défense spirituelle » face à la doctrine nazie. Le Conseiller fédéral Philippe Etter en a été l’initiateur et la devise de base était:
Citation concernant la défense spirituelle: André Lasserre « Les années sombres » p 17
La conception suisse de l’Etat n’est pas née de la race, n’est pas née de la chaire, elle est née de l’esprit
Philippe Etter Conseiller fédéral
Sans la France, la Suisse aurait-elle pu voir le jour?
On parle donc de la Suisse de 1848, ok. Je ne suis pas un spécialiste de cette époque, loin de là, je tiens à le préciser, mais j’ai quand même lu le livre d’ Arthur Boehtlingk « Frédéric César Laharpe. Il est vrai que l’arrivée des troupes françaises a mit fin à la domination de cantons sur les autres, du Haut Valais sur le Bas Valais.
Et puis n’oublions pas que Genève a été libéré des Français par les Autrichiens, on en parle peu il me semble.
N’oublions pas non plus que La Harpe a eu une énorme influence sur le Tsar Alexandre 1er qui a fait que ce dernier a ordonné à ses troupes qui entraient dans Paris de ne commettre aucun dégâts, aucun pillage, contrairement à ce qu’a fait Napoléon en Russie.
Pour ce qui est du livre de Bergier « Guillaume Tell » c’est en effet un excellent livre, curieux par contre que je n’ai pas la même vision que vous, il m’avait semblé que justement Bergier allait dans le sens de l’existence de Guillaume Tell. A part ça Bergier aurait mieux fait de s’en tenir au domaine ou il excelle: le Moyen-âge.
@Christian Favre: un peu facile de dénaturer des propos en les sortant du contexte concernant Hans-Ulrich Jost ou moi-même. La citation me paraît claire puisqu’elle met en évidence l’impact du discours politique sur le discours historique et la dépendance de ce dernier à l’égard du premier concernant l’objet « Histoire suisse ». Il y a là une simple constatation.
Concernant Guillaume Tell, Jean-François Bergier met en évidence que le récit le concernant apparaît à partir du moment où les communautés paysannes deviennent minoritaires face à l’arrivée des cantons-villes et plus particulièrement le canton de Berne et le déplacement vers le Plateau suisse. C’est au moment où ils perdent leur leadership que le mythe se crée. Par contre, au final, pour Bergier, ce qui l’intéresse concernant Guillaume Tell c’est la manière dont sa figure est utilisée au cours des siècles en Suisse et ailleurs.
Personnellement, je trouve que Jean-François Bergier a bien fait de ne pas se cantonner à l’étude du Moyen-Âge, car il excelle également dans ces autres domaines. A chacun son point de vue.
Enfin concernant la France et la Suisse, mes propos ne se limiteront pas à la Suisse de 1798 (et non de 1848 comme vous l’indiquer par erreur). A suivre…
Concernant le titre de l’article de Jost «L’historiographie contemporaine suisse sous l’emprise de la Défense spirituelle», ce qu’il met justement en avant c’est que c’est le discours créé par le politique, via La Défense spirituelle, qui commande les travaux de la recherche historique (et qui étouffera pendant longtemps toute autre approche historiographique en histoire suisse).
Ce n’est donc pas une question de beau ou de laid qui est ici le sujet de l’article de Jost.
La première entreprise d’envergure qui mettra l’histoire suisse en dehors de l’influence directe de la sphère politique, ce sera La nouvelle histoire de la Suisse et de Suisse en 1982.
Bonjour ,
je fais appel à vous pour résoudre « l’énigme Galmiche » selon les termes du Professeur Taverdet de l’université de Dijon. Celle-ci remonte au moyen âge.
Le patronyme Galmiche était jusqu’à présent associé injustement à gâte miche donc mauvais boulanger. Cette thèse apparue dans le dictionnaire de Morlet a été reprise par Larousse, Historia, Que Sais-je…et bien sûr tous les sites internet traitant d’onomastique.
Or les travaux de Marcel Galmiche datant des années 60 montrent que Galmiche est un toponyme de Galmiz ou Galmis (hameau de Düdingen dans le canton de Fribourg). Les Galmiche seraient venus de ce hameau pour défricher les Vosges comtoises sous Philippe le Bon à l’appel de la famille Guin (fondatrice de Düdingen) ou de Jean de Fribourg.
Il y a encore 12000 Galmiche (72 % des Galmiche Français) en Franche-comté.
Les spécialistes s’accordent sur l’origine erronée sémantique de Galmiche, ils ont besoin de plus d’informations historiques pour valider la thèse de Galmiz ou Galmis.
J’ai essayé de prendre contact avec des historiens Suisses qui ont écrit sur les migrations au moyen-âge Justin Favrod et Regula Frei-Stolba mais je suis sans réponse.
A défaut d’historiens Suisses j’ai retrouvé au Québec la thèse de doctorat d’un historien Français Lucien Fèvre sur Philippe II et la Franche-Comté (1912).
J’ai l’autorisation personnelle du Professeur Tremblay** d’utiliser ses données à condition de donner mes sources. Lucien Fèvre parle de « colons et migrants Suisses originaires du canton de Fribourg venus défricher les Vosges Comtoises. Ceux-ci étant improprement appelés Allemands ».Cela renforce la thèse de Marcel Galmiche sur l’arrivée du village de Galmis (s schouinté) de ces défricheurs ‘de joux noires’ mainmortables enracinés dans la région de Luxeuil sous leur nom géographique. D’autre part Jean de Fribourg après l’assassinat de Jean Sans Peur à Montereau a eu un rôle dans l’arrivée en Bourgogne cisjurane de gardes suisses et
Gruyers.
Pouvez-vous me conseiller pour retrouver les mouvements de migrations de Suisse vers la Franche-comté au Moyen-âge ?
En vous remerciant par avance pour le temps que vous voudrez bien consacrer à mon écrit.
Meilleures salutations
Michel Galmiche
** Jean-Marie Tremblay, sociologue professeur de sociologie, Cégep de Chicoutimi
fondateur et président-dir.gén. (bénévole), Les Classiques des sciences sociales
Un organisme à but non lucratif à vocation éducative et sociale
http://classiques.uqac.ca/
tel. (rés.) 418 690-0106 Lucien FEBVRE, PHILIPPE II ET LA FRANCHE-COMTÉ. Étude d’histoire politique, religieuse et sociale. Texte intégral de sa thèse de doctorat publiée originalement en 1912 par la Librairie ancienne Honoré Champion. Paris: Les Éditions Flammarion, 1970, 538 pp. Collection: Science de l’histoire.
référence à l’édition numérique disponible dans Les Classiques des sciences sociales:
http://classiques.uqac.ca/classiques/febvre_lucien/philippe_II/philippe_II.html
Avec la permission des Classiques des sciences sociales.
Si quelqu’un, en lisant ce message, est en mesure de fournir de l’aide à Michel Galmiche, j’en serai très heureux pour lui. Et c’est bien dans cet esprit-là que ce commentaire a été validé.