Jamais un roman n’aura raconté la guerre des tranchées avec tant de détails, tant de précision, parfois à la limite du soutenable : l’odeur des corps en décomposition, les cris, l’absurdité des ordres, les missions suicides ordonnées par des officiers à l’abri… Gabriel Chevallier n’a pas voulu faire ici de la littérature mais simplement décrire ce qu’il a vu. Et l’on est saisi par le cauchemar, par les destins tragiques de ses soldats, condamnés chaque jour/nuit à tirer sur un ennemi invisible, à combattre pour quelques mètres de terrain reperdus quelques heures plus tard. Cet éternellement recommencement, cette lutte aveugle est insupportable. Au départ, le narrateur s’appuie sur sa raison. Elle est, lui semble-t-il, le seul moyen de résister à la peur, de ne pas devenir totalement fou. Mais très vite, il comprend que réfléchir est pire que tout. Pour supporter ce qu’ils endurent, les soldats doivent oublier et devenir des animaux. Obéir, dormir, manger, survivre. Ce qui est particulièrement marquant dans ce récit, c’est que Gabriel Chevallier met définitivement à mal l’image du Héros. Il n’y a pas eu de héros pendant cette guerre. Les soldats avaient peur, une peur dévorante, omniprésente. Alors, quand ils étaient sur le front, ils s’occupaient surtout de rester en vie. Pas d’actes de bravoure, pas de patriotisme quand cela fait trois semaines que vous êtes sous les tirs des obus. Peu importe que l’on soit français ou allemand, et certains soldats auraient tué avec plus de plaisir leur officier que cet ennemi invisible de l’autre côté de la ligne.
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