Le portrait volontairement « blanchi » de l’écrivain Joaquim Maria Machado de Assis, réalisé vers 1896. WIKIMEDIA COMMONS
C’est à l’époque du baccalauréat, vers 17-18 ans, qu’André Tadao Kameda a découvert que le plus grand écrivain de son pays était noir. « Jusque-là ce n’était pas très clair, se souvient le jeune homme. Machado de Assis est un immense classique au Brésil, mais le sujet n’avait jamais vraiment été abordé en classe. Cette année-là, le professeur a finalement mentionné sa couleur de peau… mais sans s’attarder sur cet aspect. »
Comment aurait-il pu s’en douter ? Sur la photo officielle de l’auteur, illustrant la plupart de ses livres, Joaquim Maria Machado de Assisa le teint aussi pâle que sa chemise : visage surexposé, cheveux lissés, lèvres masquées par la barbe. « Difficile de trouver sur ce cliché la moindre trace de ses origines africaines ! », remarque André, aujourd’hui âgé de 37 ans, et qui consacre une thèse au grand auteur.
Machado de Assis era negro: campanha recria foto clássica do escritor. A campanha « Machado de Assis Real », criada pela Universidade Zumbi dos Palmares e a agência Grey, tem como objetivos impedir que o racismo na literatura seja perpetuado e encorajar novos escritores negros. https://t.co/Qgx9LFgRsr
— afroliteraria (@Resistência Afroliterária)
En vérité, le traitement réservé à « Machado » (comme on l’appelle) ne doit rien au hasard : l’écrivain, comme bien d’autres personnalités noires ou métisses, a vu son portrait volontairement « blanchi », résultat d’un racisme odieux à l’œuvre au début du XXe siècle.
Dans le Brésil de Machado, le racisme est omniprésent et l’esclavage règne en maître jusqu’à son abolition tardive en 1888. La situation ne s’améliore pas avec la République, proclamée l’année suivante. Les gouvernants d’alors rêvent d’un pays au « sang lavé » et mettent en place une politique très officielle de blanchiment de la population : 4 millions d’immigrants sont « importés » d’Europe jusqu’en 1929 pour s’installer au Brésil.
En 2011, c’est tout « naturellement » un acteur blanc qui prend ainsi les traits de l’écrivain dans une publicité pour une banque publique. L’auteur est loin d’être le seul à avoir reçu pareil traitement. Une même « blanchisation » photographique a été appliquée à rien de moins que Nilo Peçanha, président du Brésil entre 1909 et 1910, mais aussi au père José Mauricio (1767-1830), compositeur de musique classique, ou à l’immense écrivain et journaliste Lima Barreto (1881-1922). Tous métis, et descendants d’esclaves.
A partir des années 2000, sous les gouvernements de gauche de Lula et Dilma Rousseff, l’identité noire s’affirme et des grandes figures afro-brésiliennes sont « déblanchies ». Les archives sont fouillées et de nouvelles photographies du « vrai Machado » exhumées. En 2019, l’université Zumbi dos Palmares, à Sao Paulo, publie une nouvelle version du cliché officiel de l’écrivain, qui y retrouve sa véritable couleur de peau.
Source : www.lemonde.fr
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