Revue Recherches & Educations. Janvier 2023
Responsables scientifiques
- Céline Chauvigné Maître de conférences HDR, Université de Nantes Laboratoire du CREN, EA 2661
- Michel Fabre Professeur des universités émérite, Université de Nantes Laboratoire du CREN, EA 2661
Coordinatrice scientifique
- Alix Garnier Maître de Conférences en sciences de l’éducation et psychologie sociale Université Lille Laboratoire : Profeor Cirel Lille, EA4354
Argumentaire
Depuis la Révolution française, l’éducation citoyenne est au cœur des missions de l’école publique dans sa volonté de changer le sujet en citoyen libre (Buisson, 1911). Dans cette entreprise, l’instruction devient un vecteur indispensable via les institutions publiques. En effet, à partir de Jules Ferry, l’École n’est plus considérée comme un simple service public, mais bien comme une institution politique, « un des lieux, voire le lieu par excellence de fabrication de la société française » (Foray, 2018, 162) où la transmission des valeurs prend une place de choix notamment avec l’instruction morale et civique (Ferry, 1881-1882). Un rapide inventaire des recherches curriculaires (Khan, 2015, 2016, Husser, 2017, Tutiaux Guillon, 2015) et des études sur les pratiques éducatives et enseignantes récentes (Audigier, 2015, Becquet, 2016, Chauvigné, 2017, Chauvigné et Fabre, 2017, Dupeyron, 2016), montre la prégnance, au sein des « éducations à » des préoccupations concernant la construction de la citoyenneté ou la socialisation politique.
Il est vrai que, dans les années quatre-vingt, ces préoccupations avaient été réactivées dans le cadre d’une politique continue pour répondre au délitement du lien social et à la montée des violences en milieu scolaire (Chevènement, 1985). Plus récemment, la loi de refondation de l’école, promulguée en 2013, la création de l’enseignement moral et civique (2015) et l’extension des responsabilités juvéniles dans le cadre des offres démocratiques en établissements scolaires (conseil de la vie collégienne en 2015) entendent répondre aux attaques multiples contre la démocratie (attentats, complots, etc.). Si cet idéal d’éducation citoyenne semble faire consensus à la fois dans les textes officiels et chez les acteurs, il n’y a pas de véritable accord sur les modèles philosophiques et pédagogiques sous-jacents. Une certaine tension peut alors s’engager entre les enjeux socioéducatifs, pédagogiques et politiques de la formation du citoyen qui vise à la fois l’émancipation de la personne individuelle et le développement d’une socialisation collective.
La question est de savoir dans quelle mesure, la citoyenneté, en tant que statut juridique et politique attaché à une personne appartenant à une collectivité, peut articuler intégration des normes et des valeurs (dans leur dimension sociale) et émergence d’un citoyen actif (dans sa dimension politique) ?
L’éducation à la citoyenneté comme objet de recherche scientifique appelle ici une véritable réflexion sur son fondement même, dans la mesure où elle n’est ni une simple discipline académique ni une simple question comportementale ou expérientielle dans le parcours scolaire des élèves de la maternelle au lycée. Elle exige donc une analyse des articulations possibles entre savoirs et valeurs, ou encore entre socialisation et développement critique fondé sur des expériences et les espaces de vie permettant un tel déploiement. Mais, comment, concevoir la formation du citoyen dans un espace scolaire sous-tendu par une relation d’autorité et avec des élèves dont la plupart sont mineurs ? Doit-on y voir seulement une préparation plus ou moins lointaine à l’exercice de la citoyenneté, fondée principalement sur la connaissance des institutions et de leur fonctionnement ? S’agit-il d’un enseignement spécifique réservé au seul enseignement moral et civique ? Ou est-ce plutôt l’apprentissage d’un exercice de cette citoyenneté, par des prises de responsabilités et/ou par l’expérience de la vie démocratique dans le milieu scolaire ?
Parmi la multiplicité des questions que pose l’éducation du citoyen, l’appel à communication ciblera trois interrogations autour desquelles la cohérence de ce dossier se construira.
Axe 1 : modèles philosophiques et pédagogiques de l’éducation du citoyen
Le premier questionnement s’intéresserait aux fondements mêmes de l’éducation à la citoyenneté. Quels sont les modèles philosophiques et pédagogiques qui sous-tendent la pluralité de ses conceptions et de ses modes d’inscription au sein de l’école. Il s’agit ici de savoir sur quelle conception de l’enfance ou de l’adolescence, dans leur relation à l’adulte, reposent ces différentes conceptions de l’éducation du citoyen. Quels seraient, dès lors, les modèles retenus par l’institution scolaire ? Quelles visées éducatives peut-on envisager ? Pour quelles implications pédagogiques ? Cette réflexion implique de s’arrêter sur les fondements de l’éducation à la citoyenneté, d’en élucider les concepts et les enjeux. Pour y parvenir, une réflexion philosophique sur les types de formation permettrait d’interroger le statut de l’élève comme citoyen et sa possible expérience à l’école dans une dimension démocratique. L’histoire des idées, en ce sens, donnerait un éclairage sur le rapport de l’école à la société et à la vie. Elle contribuerait à saisir le sens de l’école, la manière d’éduquer, la conception de l’enfant et le rôle des acteurs scolaire dans une telle entreprise. Dans ce prolongement, une approche sociologique et institutionnelle conduirait à identifier les effets des courants pédagogiques et plus largement des sciences humaines sur les politiques éducatives en termes d’éducation du citoyen.
Axe2 : les tensions d’une mise en œuvre de l’éducation à la citoyenneté en milieu scolaire
Le second questionnement s’attacherait à souligner les points d’achoppement d’une mise en œuvre de l’éducation à la citoyenneté. Une double difficulté (Bozec, 2018, Chauvigné, 2013, 2017, Condette, 2009) semble amputer cette éducation à la citoyenneté : les paradoxes que suppose sa constitution et le contexte de la forme scolaire (Vincent, 1980) qui contraint l’exercice. Quelles sont, dès lors, les formes possibles d’une éducation à la citoyenneté ? Quels paradigmes convoque-t-elle ? Pour quel type de citoyen ? Peut-on, dans le même temps socialiser et émanciper tout un chacun dans la forme scolaire qui est la nôtre ? Pour ponctuer voire dépasser cette aporie, une confrontation avec d’autres paradigmes pourrait accompagner cette analyse. Le recours à une étude comparée avec des modèles européens ou l’étude de dispositifs alternatifs au sein même de notre histoire scolaire ou sociale donnerait quelques perspectives et quelques conditions de possibilité d’une éducation à la citoyenneté participative dans le sens donné par Joëlle Zask (2011).
Axe 3 : méthodes, dispositifs et postures à l’école et en formation
Le troisième questionnement concernerait les méthodes pédagogiques et leurs effets notamment avec la question du débat de classe et de l’éthique de la discussion (Habermas, 1992) et autres méthodes suggérées par les politiques éducatives ces dernières années. Il ne faudrait pas pour autant oublier les difficultés liées au projet même de la transmission des valeurs et aux différentes manières plus ou moins impositives ou plus ou moins libérales de le comprendre. Quels sont les enjeux et les motivations de ces démarches ? N’y a-t-il pas, ici, le risque d’un retour à la morale à la fois dans le contenu ? Ces pratiques de classe sont donc étroitement liées aux postures des enseignants et plus généralement des acteurs de l’école qui participent de la mise en œuvre de cette éducation du citoyen. Nous pouvons, dès lors, interroger la façon dont sont pensées ces questions socialement vives et la transmission des valeurs dans les instituts de formation (Instituts nationaux de professorat et d’éducation, Inspé). Le développement d’une culture commune de l’engagement des futurs enseignants et conseillers principaux d’éducation dans la politique éducative des établissements sur ces objets va-t-il de soi, quand nous savons que l’école doit observer une certaine neutralité de ses enseignements et valeurs personnelles ? Mais la saisie en est-elle plus aisée dans certaines régions comme l’Alsace- Moselle où, dans le cadre du concordat, la religion est intégrée aux enseignements de l’école primaire au lycée ? Plus largement, ce travail devrait s’enrichir d’une dimension internationale. Que nous apprennent nos voisins européens sur ces questions ? Observons-nous chez eux une séparation de la sphère privée d’avec la sphère publique ? Comment l’éducation à la citoyenneté est-elle pensée et mise en pratique dans les démocraties non européennes ?
Cet appel à communication vise donc à étudier le sens et la faisabilité d’une mise en œuvre de l’éducation à la citoyenneté soumis à des visées contradictoires dans un système fondé historiquement sur la forme scolaire (Durkheim 1904-1905, Vincent et al., 2012) mais aussi à s’ouvrir vers d’autres modèles dans une perspective comparatiste. Il tente d’interroger : 1) les modèles éducatifs d’une éducation à la citoyenneté plébiscitée dans une école de la République en recherche de sens (à la fois dans une approche historique, philosophique et pédagogique). 2) les liens entre école et citoyenneté, mais aussi, 3) les conditions de possibilités de cette éducation et plus largement de la transmission des valeurs.
Il s’agit, d’une part, de comprendre les fondements de l’éducation à la citoyenneté dans le contexte de la forme scolaire (Vincent et al., 2012) actuelle, d’en percevoir les enjeux et les motivations. D’autre part, il convient d’examiner les effets de ces approches citoyennes au prisme de méthodes ciblées (débat de classe, transmission des valeurs, expériences, éducation au politique) qui les rendent possibles ou caduques. Mais il est question aussi d’examiner ce que cela induit chez les enseignants eux-mêmes et leurs postures, en particulier sur le plan éthique.
En ce sens, les textes issus de l’appel à communication s’inscriront dans la continuité de recherches antérieures sur la citoyenneté et la transmission des valeurs aussi bien dans le domaine philosophique (Canivez, 1997, Jutras, 2010, Kinzter, 2007, Schnapper, 2001, Pena-Ruiz, 1999, 2001, 2003), historique (Audigier, 1999, Galichet, 1998, Mougniotte, 1991) ou sociologique (Baubérot, 1997, 2004, 2010, 2013). Ils devront s’articuler de manière complémentaire aux trois grands axes présentés.
Source, bibliogrphie et modalités de contribution : calenda.org
Crédit image : Photo de Shelagh Murphy sur Unsplash