Diffusé à une heure de grande écoute sur une chaîne du service publique, Apocalypse Hitler présente beaucoup d’atours susceptible de séduire les enseignants d’histoire. La revue de presse ci-dessous permet de remettre cette série à une plus juste place.
- Apocalypse Hitler – Edouard Husson, vice-chancelier des Universités de Paris et spécialiste de l’Allemagne dans sa période nazie, ne manque pas de tordre le coup à l’absurde insistance d’«Apocalypse Hitler» sur la possible ascendance juive de Hitler :
«une thèse bien éculée, et dont on se demande bien pourquoi les auteurs la réhabilitent. Que le père de Hitler n’ait pas su l’identité de son vrai géniteur, quoi de plus banal dans une région (Bavière, Nord-Ouest de l’Autriche) où les naissances illégitimes étaient particulièrement nombreuses à cette époque, sans doute liées au système de la famille souche- l’aîné héritant et se mariant laissait peu d’espoirs à des cadets de s’établir. Que Hitler n’ait pas su, contre les critères du régime qu’il avait établi, prouver l’origine de ses quatre grands-parents, certes. Mais de là à nous refaire le coup d’un Hitler peut-être juif, il y a un grand pas, franchi avec désinvolture. Non seulement il aurait fallu creuser dans une autre direction: Hitler a peut-être eu des ancêtres tchèques; mais il aurait fallu se rappeler que la thèse des ancêtres juifs de Hitler est un symptôme de la mauvaise conscience européenne et occidentale vis-à-vis du judéocide: ce serait si pratique de pouvoir se dédouaner de siècles de persécutions culminant dans un génocide et de pouvoir dormir tranquille car un Juif aurait décidé de tuer massivement d’autres Juifs…» - “Apocalypse Hitler”, une impression de déjà-vu – Télévision – Télérama.fr – A grand renfort d’archives colorisées, “Apocalypse Hitler”, diffusé mardi 25 octobre, sur France 2, retrace l’ascension politique du Führer jusqu’à l’invasion de la Pologne. Un documentaire qui s’inscrit dans une longue lignée, sans rien apporter de très novateur. Décryptage avec deux jeunes universitaires.
Pour l’historienne Julie Maeck, chargée de recherches à l’Université libre de Bruxelles, Apocalypse Hitler se contente d’adapter au goût du jour la démarche de l’Allemand Guido Knopp qui, à partir de 1995, consacra des documentaires au Führer et à ses «complices», mêlant images de propagande et documents amateurs dans une forme accrocheuse et sans recul critique […]. «La seule nouveauté des films d’Isabelle Clarke et de Daniel Costelle tient à la colorisation des archives. Pour le reste, ils traitent ces images de la même manière émotionnelle, dans un montage hyper-rythmé, sans apporter la moindre plus-value à la compréhension du phénomène Hitler, ni à la façon dont les nazis sont arrivés au pouvoir.» - ‘Apocalypse’ : les faux monnayeurs, par J-L. Comolli | Le blog documentaire – «Hitler est partout, tout le temps : normal, il est filmé par ses amis ou par ses séides. Brouillage donc. Ne pas signaler l’origine des archives a pour résultat de les mettre toutes sur le même plan donc de mentir sur leurs déterminations. Et ne pas prendre en compte la spécificité historique de ces archives, qui portent la marque de leur époque et des capacités du cinéma en leur époque, revient encore à mentir sur les limites de ces images, et donc la relativité de leur point de vue ; ici, les images sont absolutisées […]
Il y avait donc d’autres images, pouvant rendre le film plus complexe et son commentaire plus subtil. L’écrasement du format d’origine des images, comme leur colorisation et leur sonorisation, signifient falsification de l’histoire, celle du cinéma, qui n’est pas moins historique que l’histoire politique. Les auteurs de cette apocalypse peuvent être dits des faussaires. Ils trompent les téléspectateurs sur la « marchandise ». Le cinéma dans les années 30 était moins puissant qu’aujourd’hui. D’ailleurs, Hitler s’est surtout manifesté par la radio. Le piège tendu perversement par les auteurs est de feindre de dénoncer le Führer, de le critiquer dans leur commentaire, alors que les images proposées sans hors-champ, sans déconstruction, au téléspectateur, reconduisent la fascination supposée du peuple allemand pour la figure du Führer. Pour dénoncer une adhésion, on la maintient, on la perpétue.» - Apocalypse/Hitler : la mystification, par Hugues Le Paige « Le blog documentaire – «Lors d’une émission radio sur la Première (RTBF) et dans des termes bien plus modérés, l’historienne du CEGES, Chantal Kesteloot avait suggéré une lecture critique des images et émis quelques réserves, notamment sur les limites de la démarche et sur la nécessité d’indiquer les sources des documents. Ce qui a eu pour effet de provoquer la colère tonitruante de Daniel Costelle lors de son intervention en duplex dans la même émission dont on connaît pourtant le caractère éminemment consensuel. « Mais nous voulions faire de la ‘prom’, répondait ingénument l’animateur face au déchaînement du réalisateur « révulsé par les réflexions coupantes d’une professeur-de-je-ne-sais-pas-quoi, d’une ‘historienne’ entre guillemets ».Les auteurs d’Apocalypse qui entamaient déjà leur première série par la phrase définitive : « ceci est la véritable histoire de la seconde guerre mondiale », ne supportent décidément pas que l’on émette quelques critiques même très modérées et, lors de cette émission, très largement bienveillantes à l’égard de leur « œuvre vivante », comme ils la qualifient. Leur prétention est à la mesure de leur mystification historique. Il existe cependant un danger plus pressant car, au-delà de ces productions et de ce que l’on peut en penser, le risque est grand de voir ce formatage du documentaire qui enchante les télévisions devenir le modèle à suivre.»
En définitive, les enseignants seront mieux inspirés d’utiliser des films de fiction de grande qualité. Dans Télérama, Matthias Steinle, maître de conférences en cinéma à Paris III et l’historienne Julie Maeck, chargée de recherches à l’Université libre de Bruxelles nous proposent «Le Didacteur» (1940) de Chaplin, «To Be or Not to Be» (1942 d’Ernest Lubitsch et même «Inglorious Basterds» (2009) de Quentin Tarantino, car, comme l’indique Matthias Steinle :
«Ces films, au moins, n’entretiennent pas le mythe du Führer; ils cherchent à l’arrêter. En voyant Inglorious Basterds, les jeunes comprennent au moins que le nazisme, c’est mal ! Reste juste à leur expliquer qu’Hitler n’est pas mort dans un cinéma.»
Voir aussi notre précédent article : Du bruit autour du Führer | Écrans.
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