Dans « Eloge du Carburateur. Essai sur le sens et la valeur du travail », Matthew B. Crawford restitue l’expérience de ceux qui, comme lui, s’emploient à fabriquer ou à réparer des objets. Cet ouvrage entre en écho avec les tenants du Maker en éducation. Il remet aussi en perspective les origines de la dichotomie entre travail manuel et travail intellectuel. A ce titre, outre le fait que c’est un passionné de moto, sa lecture est intéressante pour replacer philosophiquement le mouvement Maker éducatif. Je vous en propose quelques extraits.
Extrait 1 : origine de la dichotomie entre travail manuel et travail intellectuel
« L’émergence de la dichotomie entre travail manuel et travail intellectuel n’a rien de spontané. On peut au contraire estimer que le XXe siècle s’est caractérisé par des efforts délibérés pour séparer le faire du penser. Ces efforts ont largement été couronnés de succès dans le domaine de la vie économique, et c’est sans doute ce succès qui explique la plausibilité de cette distinction. Mais dans ce cas, la notion même de « succès » est profondément perverse, car partout où cette séparation de la pensée et de la pratique a été mise en œuvre, il s’en est suivi une dégradation du travail. »
— Éloge du carburateur (POCHES ESSAIS t. 440) de Matthew B. CRAWFORD
Extrait 2 : fondements d’une nouvelle anthropologie sur l’agir humain
« Ce qui revient à poser les fondements d’une nouvelle anthropologie, susceptible d’éclairer notre expérience de l’agir humain. Son objectif serait d’analyser l’attrait du travail manuel sans tomber dans la nostalgie ou l’idéalisation romantique, mais en étant simplement capable de reconnaître les mérites des pratiques qui consistent à construire, à réparer et à entretenir les objets matériels en tant que facteurs d’épanouissement humain. »
— Éloge du carburateur (POCHES ESSAIS t. 440) de Matthew B. CRAWFORD
Extrait 3 : pensée et action
« Si la pensée est intimement liée à l’action, alors la tâche de saisir adéquatement le monde sur le plan intellectuel dépend de notre capacité d’intervenir sur ce monde. Et c’est bien le cas : pour vraiment connaître une paire de lacets, il vous faut faire l’expérience de les attacher. »
— Éloge du carburateur (POCHES ESSAIS t. 440) de Matthew B. CRAWFORD
Extrait 4 : ordinateur et esprit humain
« Aussi, lorsqu’un prophète de la société postindustrielle part de l’idée que les systèmes complexes se caractérisent par « l’interaction d’un nombre de variables trop élevé pour que l’esprit puisse les appréhender simultanément et dans un ordre adéquat » et en tire la conclusion qu’« on doit avoir recours à des algorithmes plutôt qu’à des jugements intuitifs dans le processus de décision », il juge indûment le fait que l’esprit humain ne fonctionne pas de la même façon qu’un ordinateur comme une preuve de déficience. C’est là une forme de raisonnement qui semble trahir un préjugé irrationnel à l’encontre des êtres humains. Car en réalité, un esprit humain bien entraîné peut être particulièrement doué pour capter les indices émis par un édifice en feu, jouer aux échecs, déparasiter les circuits électriques d’un véhicule ou Dieu sait quoi encore. »
— Éloge du carburateur (POCHES ESSAIS t. 440) de Matthew B. CRAWFORD
Concernant Matthew B. Crawford
Matthew B. Crawford est philosophe et réparateur de motos (ou réparateur de motos et philosophe). Il vit à Richmond et enseigne à l’université de Virginie. Matthew B. Crawford était un brillant universitaire, bien payé pour travailler dans un think-tank à Washington. Au bout de quelques mois, déprimé, il démissionne pour ouvrir… un atelier de réparation de motos. À partir du récit de son étonnante reconversion professionnelle, il livre dans cet ouvrage intelligent et drôle l’une des réflexions les plus fines sur le sens et la valeur du travail dans les sociétés occidentales.
Présentation d’Eloge du carburateur par son éditeur
Mêlant anecdotes, récit, et réflexions philosophiques et sociologiques, Matthew B. Crawford montre que ce « travail intellectuel », dont on nous rebat les oreilles depuis que nous sommes entrés dans l’« économie du savoir », se révèle pauvre et déresponsabilisant. De manière très fine, à l’inverse, il restitue l’expérience de ceux qui, comme lui, s’emploient à fabriquer ou à réparer des objets – ce qu’on ne fait plus guère dans un monde où l’on ne sait plus rien faire d’autre qu’acheter, jeter et remplacer. Il montre que le travail manuel peut même se révéler beaucoup plus captivant d’un point de vue intellectuel que tous les nouveaux emplois de l’« économie du savoir ».
Pour acheter l’ouvrage : https://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-__loge_du_carburateur-9782707181978.html