L’actualité récente du monde arabe et celle de la culture web récente mettent la Révolution française à l’honneur. Mais si d’un côté, c’est plutôt le côté royaliste et le monde de la noblesse qui sont mis en avant, l’actualité ne manque pas de remettre la question citoyenne et du peuple au coeur de l’action. Mais en définitive que reste-t-il à l’Histoire?
Lady Gaga nous explique la Révolution française
La chaîne YouTube HistoryTeacher s’est spécialisée dans la réalisation de clips cherchant à retracer des grands moments de l’histoire grâce à la musique, en détournant les paroles de chansons très célèbres. Cette vidéo met en scène une Lady Gaga expliquant la Révolution française sur l’air de Bad Romance! ((Lady Gaga nous explique la Révolution française | Slate))
Pour sa part, Lady Gaga est une grande admiratrice de Marie-Antoinette au travers de ses coiffures décoiffantes et de ses tenues à plume d’autruche.
Pour ma part, j’en appelle volontiers à Mel Brooks ((« It’s good to be the King », est un titre issu de son film « La folle histoire du monde », sorti en 1981.))
Marie-Antoinette sur Nitendo DS
Marie-Antoinette est d’ailleurs fort tendance depuis 2006 et la sortie du film de Sofia Coppola. C’est une des références récurrentes dans la série pour ados Gossip Girl. ((Gossip Girl, la victoire du stupre | Slate.fr (http://www.slate.fr/story/31825/gossip-girl-luxe-d[…])). Lady Gaga et les ados trouveront donc certainement leur compte avec la sortie du jeu Marie-Antoinette sur Nitendo DS.
Ici, le petit robot Oscar, déjà au coeur des intrigues à déjouer au Moyen Âge, dans le Paris du Ier empire et à la cour de Versailles en compagnie de Louis XIV et de Vauban, se retrouve une nouvelle fois mobilisé pour déjouer les plans du diabolique Dr Du Noi. Cette fois, l’odieux personnage a remonté le temps jusqu’en 1781, en pleine guerre d’indépendance américaine. Pour avancer au fil de l’histoire, il faudra participer à des mini-jeux (le Pharaon, la bataille des frégates, le Trou-Madame…), résoudre des enquêtes, des problèmes de logique et des devinettes historiques… Les trois principaux thèmes proposés ont trait à Versailles, Marie-Antoinette et les moeurs de la cour, la Guerre d’indépendance américaine, et enfin les grandes inventions. ((Marie-Antoinette et la Guerre d’Indépendance américaine sur DS))
Du petit robot Oscar à Lady Oscar
Le petit robot Oscar ne peut que me renvoyer au dessin animé Lady Oscar et au manga dont il est issu (La Rose de Versailles). Pour rappel, le générique
Dans l’épisode 3, l’arrivée de Marie-Antoinette est organisé autour de l’affrontement entre Marie-Antoinette et la Du Barry.
Watch Lady Oscar episode 03 vf in Animation | View More Free Videos Online at Veoh.com
Le «1789» du monde arabe?
Depuis les événements de Tunisie, puis leurs prolongements dans le monde arabe et plus particulièrement en Egypte, les références et les allusions à la Révolution française et à 1789 abondent dans la presse. Pour le meilleur ou pour le pire?
C’est ainsi que dans Mediapart (02.02.2010), Edwy Plenel ((Le « 89 » du monde arabe | Mediapart)) notait que
« Inaudible tant notre époque est affolée, une petite cohorte de chercheurs, de sociologues, d’anthropologues, de démographes, d’historiens, etc., ne cessait de nous expliquer que les peuples arabes, loin de vivre une grande régression, traversaient une difficile transition vers notre modernité commune – ce que Youssef Courbage et Emmannuel Todd nommèrent en 2007 « le rendez-vous des civilisations ». Les rues tunisienne et égyptienne, que d’autres relaieront peut-être, leur donnent aujourd’hui raison, reprenant le vieux flambeau des insurrections démocratiques, celui-là même qui, depuis 1789, nous a entraînés vers nos républiques, aujourd’hui lasses et usées parce que malmenées et confisquées. »
Pour sa part, l’historien, Pierre Serna ((Institut d’Histoire de la Révolution française – Pierre Serna sur la Tunisie)) ne manquait pas de relier les événements de Tunisie à l’historiographie de la Révolution française
«Ce que montrent les Tunisiens qui nous laissent quelque peu sidérés et pour le moins admiratifs est qu’une Révolution est possible. Que n’a –t-on dit, en France, sur la révolution comme objet froid, dépassé, historicisé, depuis 1977 et la parution de l’ouvrage de F. Furet « Penser la Révolution », remettant violemment en cause le catéchisme républicain et la mythographie d’une Révolution française qui était terminée, finie. Avec cette affirmation c’était l’idée en soi de révolution qui devait être discréditée, stigmatisée. La révolution, monde de violence, était désormais à éradiquer dans le futur.»
tout en ne manquant pas de nous mettre en garde devant le risque d’une lecture post-colonialiste insultante au pire, condescendante au mieux, de la situation tunisienne:
Non la Tunisie n’est pas en 1789 ! Par pitié que l’on cesse d’instrumentaliser l’Histoire en mesurant l’histoire du monde à l’aune de l’histoire de France. […] C’est nous qui devons apprendre des Tunisiens et non le contraire. Nous sommes restés dans un 1789 mental, mythifié et figé. Les Tunisiens eux sont bien en 2011 !
De leur côté, les manifestants tunisiens recyclaient les symboles révolutionnaires ((Les jeunes manifestants tunisiens veulent « démonter la Bastille » | AFP))
«La Kasbah, c’est la Bastille de la Tunisie et on va la démonter, comme les sans-culottes français ont fait tomber la Bastille en 1789»
Dans Culture visuelle, André Gunthert ((Rattraper la révolution | L’Atelier des îcones)) s’interrogeait, à propos de la Tunisie
«sur la traduction visuelle dans les médias français des événements tunisiens (“Une révolution sans images?“). L’évolution du traitement depuis la fuite de Ben Ali permet d’affiner le diagnostic. Plutôt qu’une “révolution sans images”, nous avons vu des images sans révolution.»
Alors que «en France, depuis Delacroix, le visage de la Révolution est féminin et renvoie au symbole de Marianne, incarnation de l’émancipation républicaine», André Gunthert note que
La comparaison avec les images publiées la semaine dernière est édifiante. Malgré un appel de Une intitulé “Maghreb, la jeunesse contre le pouvoir“, la photo retenue par L’Express du 12 janvier montre des jeunes encagoulés brandissant des projectiles face à une rangée de policiers abrités derrière leurs boucliers (voir ci-dessous). Si cette image nous est familière, ce n’est pas par son évocation des trois Glorieuses, mais plutôt par son rappel insistant d’une autre imagerie: la longue généalogie des désordres urbains, rixes et échauffourées qui, des Minguettes aux Tarterets en passant par Villiers-Le Bel, oppose régulièrement les “jeunes des cités” aux forces de l’ordre dans nos banlieues.
Mais pour certains Cassandre, après 1789 viendra 1793 ((Monde arabe: la montée de la troisième voix | Slate.fr))
On entend les Cassandre multiplier les appels à la retenue: le chaos va s’installer, les islamistes vont rafler la mise, le canal de Suez sera bloqué et Israël sera menacé par tous ses voisins. Souvenez-vous toujours que l’Histoire est tragique! 1793 suit 1789! On entend, plus fortes encore, les voix dire que la démocratie est une exception européenne, qu’elle est de surcroît récente et qu’il est illusoire et naïf de penser que le modèle des droits de l’homme va s’universaliser. Le déclin européen montrerait au contraire que cette idée est en voie de régression, du moins menacée. Ce sont les systèmes autoritaires qui ont l’avenir devant eux, regardez la Chine!
Et l’histoire dans tout cela?
En définitive, l’histoire n’est-elle nécessaire que pour lire la presse ou trouver des exemples d’hier pour les coller à l’actualité d’aujourd’hui? L’histoire est en quelque sorte instrumentalisée pour fournir des exempla, commodes modes d’explication qui, comme dans le journalisme sportif, sont convoqués, puis révoqués, recyclés en fonction de l’évolution du direct ou de son inclinaison idéologique.
Dans le même temps, le nombre de périodes d’histoire tend à diminuer et/ou les programmes à concurrencer les quizz télévisuels. Que faire alors devant tant de concurrence et de récupération? Pour ma part, l’autre risque étant la construction de formes renouvellées du roman national, j’en appelle régulièrement à faire de l’histoire, objet de consommation dans l’espace public, un objet à interroger, éclairer et débattre en classe avec nos élèves pour en prendre la juste mesure.
Et, en conclusion, je vous invite à lire mes deux dernières chroniques publiées dans le mensuel du Café pédagogique. La chronique de janvier traite justement et bien modestement du traitement culturel actuel autour de Marie-Antoinette et de la Révolution française:
- Dans ma classe : récit national ou pluralité des écritures de l’histoire ? | Café pédagogique, no 118, décembre 2010
- Marie-Antoinette ? C’est hype ! | Café pédagogique, no 119, janvier 2011